Portrait : Philippe Pascal
Le 24 juin prochain aura lieu à la Salle de la Cité à Rennes un concert en hommage à Philippe Pascal, chanteur du groupe post-punk culte Marquis de Sade et figure de proue de la scène rock rennaise des années 80. Un musicien lié de près aux Trans Musicales, où il a présenté tout au long de sa carrières ses diverses réincarnations musicales. Portrait d’un personnage à part dans le paysage rock rennais et français, qui nous a quitté en septembre 2019.
Par Eric Delsart
Né en 1956 à Sidi Bel Abbès en Algérie, Philippe Pascal a vécu une enfance déracinée. “Je suis arrivé en France à six ans. Mes parents étaient instituteurs en Algérie et par le hasard des mutations, ils ont été dirigés vers le dernier de leurs vœux. Ils avaient commencé par la Côte d’Azur et on s’est retrouvés à Dol-de-Bretagne, en Ille-et-Vilaine, en 1962” confiera-t-il au magazine Magic en 2017. “C’était une punition, un exil. J’ai commencé à m’ouvrir à la vie en allant au lycée Jacques-Cartier à Saint-Malo. Avant, j’avais découvert le blues grâce à mon père. Il avait un orchestre de jazz quand il était étudiant et, à la maison, il y avait quelques 78-tours de blues. Je suis allé piocher, j’ai cherché, ça s’est fait par hasard”. A l’époque, l’épicentre de la vie musicale rennaise se nomme Disc 2000, un disquaire spécialisé dans le blues, tenu par Hervé de Belizal. Jean-Louis Brossard, co-fondateur et directeur artistique des Trans Musicales s’en souvient : “De Belizal faisait venir les disques en import. Chez lui, à Rennes, tu trouvais des disques que tu ne trouvais dans aucun autre magasin en France, ou peut-être à Paris, chez un ou deux importateurs. Point barre. C’est là où se donnaient rendez-vous les musiciens, là où Hervé Bordier, qui y travaillait aussi, faisait les flyers quand il a monté l’association Terrapin, comme pour le concert de Nico à la Cité. Tu entrais dans le magasin tu savais tout ce qui se passait”.
C’est dans les rayons de ce magasin que Philippe Pascal a fait son éducation musicale et creusé son amour pour le blues : “Mississippi John Hurt, Son House, Skip James… J’adorais ça. Moins Robert Johnson. Je n’aime pas le Chicago blues, notamment à cause de l’usage qu’en ont fait certains groupes comme Cream. Un truc hyper lourd. Mais le blues rural, j’adorais ça. Disc 2000 vendait des disques de blues mais ça coûtait les yeux de la tête. Très vite, j’ai commandé aux États-Unis via le label Yazoo. Je me souviens d’une pochette de Crumb. J’ai découvert à la même époque la BD underground américaine. Et puis il y a eu la fameuse émission Pop 2 où est passé Big Joe Williams [en 1971]. Extraordinaire”.
Au lycée, Philippe Pascal rencontre Gilles Rettel, surnommé Anzia, qui l’initie au rock de Lou Reed et David Bowie, tandis que Philippe le branche sur ses obsessions blues. Ils deviendront rapidement compagnons de route et de musique. Philippe prend alors le chemin de l’enseignement, comme son père. “Je me suis retrouvé instit’ à cause de ma passion du blues. Dans ma tête, je me disais que j’irais enseigner en Louisiane aux enfants cajuns. J’y croyais dur comme fer. J’ai passé le concours de l’école normale en troisième, j’ai été la dernière promotion. Après, je suis allé au lycée à Saint-Malo alors que les normaliens venaient à Rennes. J’avais un peu d’argent de poche, avec l’école normale, qui me permettait d’acheter des disques. Et après le bac, je me suis inscrit en histoire et j’ai fait l’E.N. pour avoir un peu d’argent et continuer ma petite vie à m’acheter mes disques”. Marié à 19 ans en 1975, père à 20 ans l’année suivante, Philippe Pascal devient instituteur dans un petit village de la baie du Mont Saint-Michel et répète le week-end avec un groupe local nommé Dahu. Il monte ensuite avec Anzia le groupe Pentathal Lethally dont le nom est tiré d’un couplet du Velvet Underground mal retranscrit (“Don’t panic, someone give him pentathol instantly” sur Lady Godiva’s Operation, sorti en 1968). Un groupe qui donnera quelques concerts, et auquel son frère Gilles prend part, dans un rôle indéfini. Il dira de lui plus tard “Il est et sera pour moi une espèce de muse, une source d’inspiration. Et nombre de morceaux – de Marc Seberg surtout – lui doivent beaucoup”.
Au même moment à Rennes, un groupe nommé Gang Rennes, et mené par le guitariste Frank Darcel et le chanteur/bassiste Christian Dargelos commence à se faire connaître. Dargelos aperçoit Philippe Pascal une première fois. “Je vois Philippe lors d’un concert à Loscouët-sur-Meu” dit-il dans l’excellent livre Marquis De Sade, 1977–2017 de Patrice Poch, “Première impression : Philippe et son Pentathal Lethally font la même musique que nous, un condensé de rock punk sans doute plus porté sur le Velvet. J’en parle à Frank dès mon retour sur Rennes. Je lui dis qu’un chanteur de Saint-Malo, avec une bonne dégaine, dégage un truc”. Cette première rencontre marque un premier pas mais il n’est pas encore question de recrutement. Gang Rennes passe l’été 1977 à répéter, affûter son style et se rebaptise Marquis de Sade. A la rentrée, le groupe pose une annonce provocatrice à Disc 2000 : “Marquis de Sade, groupe qui se veut macho, sexiste et fier de l’être, cherche chanteur et clavier style Stranglers”. L’annonce horrifie Pascal autant qu’elle le fascine.
Marquis de Sade, Acte II
Le 7 octobre 1977, Marquis de Sade joue en première partie de The Damned à la Halle des Lices. Un concert important dans l’histoire du groupe, qui devient aux yeux de tous LE groupe punk rennais. Philippe Pascal est dans le public. “Je vois Marquis de Sade pour la première fois. Pas grand chose à foutre des Damned mais les Marquis m’intriguaient. J’ai le souvenir d’un long larsen tout du long. Des vagues de “Metal Machine Music” [en référence au titre de l’album bruitiste de Lou Reed sorti en 1975] et des échos de batterie qui tournoyaient dans les halles glaciales (…) C’était Chaos En France avant l’heure”. C’est le photographe Richard Dumas qui finira par présenter Philippe Pascal à Frank Darcel et Christian Dargelos. Il s’en souvient avec délice pour la revue Persona : “J’avais vu un concert à Saint-Malo de Pentathal Lethally, groupe dinanais, dans lequel le chanteur m’avait totalement renversé… voix, physique, magnétisme, il avait TOUT. Le concert fini, je me suis faufilé en coulisses le rencontrer et lui dire combien j’avais aimé ; il s’appelait Philippe. On semblait être sur la même longueur d’onde : le blues, les Stooges, le Velvet. Alors je lui ai parlé de mes potes de Marquis de Sade à Rennes, lesquels je trouvais manquaient d’un “vrai” chanteur malgré la classe certaine qu’ils avaient. Il était okay pour les voir. Quelques mois après, cette fois avec Frank et Christian de Marquis de Sade, je suis retourné voir Pentathal Lethally. Philippe à la fin du concert, de cuir vêtu, royalement allongé sur le toit d’une bagnole à l’arrière de la salle, a accepté de leur parler ! On connaît la suite”.
Frank Darcel et Christian Dargelos lui proposent de venir assister à une répétition. Curieux mais bien décidé à ne pas pour autant quitter Pentathal Lethally, Philippe rejoint le week-end suivant le groupe à son local, une ferme isolée située à Bréal-sous-Montfort, en compagnie de son ami Michel Rouillé. Impressionné par le matériel professionnel, la discipline et l’enthousiasme du groupe, il se rend rapidement compte de son potentiel. Sa décision est prise après ce rencard : il veut rejoindre Marquis De Sade. A peine le temps de répéter deux ou trois fois et Philippe se retrouve sur scène avec le groupe à la Paillette en première partie de Fracture. Si le groupe est encore erratique, il s’est assurément trouvé un frontman magnétique qui hypnotise son audience avec sa gestuelle folle. En 1978, le groupe fait forte impression avec son style vestimentaire strict, sa dégaine cadavérique et son agressivité sur scène lors du festival de la chanson Scène Ouverte. Peu de temps après, le groupe est contacté par l’association Terrapin qui propose de financer le premier 45-tours du groupe. Menée par Hervé Bordier, elle organise alors des concerts à Rennes. Béatrice Macé et Jean-Louis Brossard en font partie. Ce dernier se remémore “La première fois que j’ai vu Philippe c’était sur une scène avec Marquis De Sade, et puis après on a commencé à se voir dans les bars, et puis il passait à la maison. On partageait un amour pour le groupe Pere Ubu. On a sorti un 45-tours sur Terrapin, le label qu’on a monté et sur lequel on a produit deux disques”.
Air-Tight Cell sort en juin mais dès le mois d’août Christian Dargelos et Pierre Thomas sont évincés du groupe. C’est le premier – et sans doute le plus marquant – des changements de personnel qui baliseront l’histoire du groupe (l’excellent livre Dix ans de rock rennais 1978–1988 de Christophe Brault le démontre : de 1977 à 1980, aucune formation du groupe n’a duré plus de six mois, avant une période de onze mois entre 1980 et juin 1981). Anzia rejoint le groupe, qui avance, évolue, enrichit son répertoire de morceaux à lui et trouve son identité dans le chaos “Nous avions envie de bousculer les gens et de nous bousculer nous-mêmes d’abord. Les répétitions n’étaient pas un endroit confortable. On se remettait en question les uns les autres. Il y avait un échange entre nous, surtout pour les compositions du premier album. On l’entend bien : il y a des breaks à tout bout de champ, des ponts improbables…”.
Avec son groove post-punk aux guitares anguleuses, Marquis de Sade séduit. Philippe Pascal le déraciné se proclame européen et partage sa fascination pour les pays de l’Est : le cinéma de Fritz Lang et Rainer Werner Fassbinder, la peinture d’Egon Schiele, le Neukunstgruppe viennois. Sur scène, il est aussi dérangeant que fascinant. Quand Terrapin lance en juin 1979 les Rencontres Trans Musicales de Rennes dans la salle de la Cité pour soutenir l’émergente scène rennaise, Marquis de Sade en fait évidemment partie et est présenté sur le programme comme “Cinq européens en costumes électriques”. L’événement fait parler, la performance du groupe marque le public. “Plein de gens ne les connaissaient pas” se souvient Jean-Louis Brossard. “Nous on connaissait le groupe parce qu’on était quelques dizaines à l’avoir vu avant, mais le commun des mortels, même les médias ne savaient pas que ça existait. Quand le groupe est monté sur scène ça a été une déflagration, avec le jeu de scène de Philippe. A part Joy Division, et encore c’était après je crois, et Iggy Pop, personne ne faisait ça. On avait un frontman incroyable. Tous les yeux étaient portés sur le chanteur. C’était le moteur du truc”.
Peu de temps après, le groupe, désormais managé par Hervé Bordier, signe avec un tout nouveau label nommé CBH et publie son premier album Dantzig Twist (en distribution chez Pathé Marconi) sur lequel joue le saxophoniste Daniel Pabœuf. Ce dernier deviendra ensuite un “invité permanent” du groupe et son saxophone, l’une de ses signatures sonores.
En fin d’année 1979, Anzia quitte le groupe. Philippe demande une année sabbatique à l’éducation nationale, qui lui refuse. Il démissionne en janvier 1980. Peu de temps après, le magazine Actuel publie un article intitulé “Les jeunes gens modernes aiment leur maman” qui présente les membres du groupe posant à côté de leur mère (sauf Philippe Pascal qui demande à celle de Richard Dumas de poser). L’article est fallacieux et donne d’eux une image erronée, mais il les place comme le fer de lance de la scène post-punk et new wave hexagonale. Le groupe est alors au sommet mais sa mécanique commence alors à se dérégler. Le 45-tours Rythmiques sort puis le groupe s’en va à Londres enregistrer ce qui sera Rue De Siam avec Steve Nye, producteur de Roxy Music. Le groupe, déjà sous tension, continue de se déliter. Il passe à la télévision, joue Cancer And Drugs en direct du théâtre de la ville de Rennes pour l’émission de Thierry Le Luron. Une émission marquée par des problèmes de playback et où Pascal fait un tollé car il interprète le morceau un verre d’alcool à la main.
De Marc Seberg au Blue Train Choir
Chez lui à Rennes, où il habite avec Anzia, Philippe commence alors à fomenter son projet Marc Seberg sur un petit quatre-pistes et en évente l’existence à la presse : “J’habitais avec Anzia et nous devions avoir la visite d’un journaliste de Best qui devait écrire un papier sur les groupes de Rennes. Alors, avec Anzia on a voulu monter de toutes pièces un groupe, inventer un nom et en parler comme un groupe existant, et voir jusqu’où ça irait. Donc la veille de la venue de ce journaliste, on a inventé ce nom-là” racontera-t-il au fanzine MIPM. Les répétitions deviennent de plus en plus houleuses et Philippe n’aime pas la direction funk sous influence Talking Heads que Frank Darcel tente de faire prendre au groupe. Le différend sera d’ordre rythmique plus que personnel. Le groupe se dissout à l’été 1981 et Philippe décide de recruter la section rythmique de Frakture (qui s’appelait “Fracture” jusqu’en mars 1980) pour fonder Marc Seberg avec Anzia. Si la séparation surprend le public, l’entourage du groupe s’en étonne moins, tant la collaboration avait été tendue dès l’origine. “Mes rapports avec les gens étaient extrêmement compliqués. Les textes reflétaient donc cette vision particulière, solitaire et complètement introvertie de la personne que j’étais à ce moment-là. Quand je suis venu à Rennes travailler avec Frank, Eric et Thierry qui avaient une vie d’étudiants, de mon côté je suis arrivé avec mon fils et ma femme, donc complètement en décalage. A l’époque de Marquis de Sade je ne me suis jamais intégré à toute la bande. C’est venu beaucoup plus tard avec Marc Seberg. C’est d’ailleurs avec ce groupe que je me suis ouvert au monde, on le voit dans les textes aussi”. Après deux ans d’absence, Philippe Pascal remonte sur scène en avril 1983 avec Marc Seberg, dont le premier album 83, enregistré pour Virgin avec Steve Hillage, vient de sortir en mars et porte une esthétique new wave. Les deux années égarées entre 1981 et 1983 ont servi à assembler le groupe (avec son vieux compagnon Pierre Thomas à la batterie et Pierre Corneaux à la basse) et à travailler des textes qui sont désormais au cœur de la réflexion artistique du chanteur, avec le français comme langue de prédilection. Dans l’émission Les Enfants du rock sur Antenne 2 en 1985, Philippe décrira son projet en ces termes : “Marc Seberg c’est mon Amérique à moi. Marc Seberg c’est l’aventure, la possibilité d’expérimenter en toute liberté dans l’espoir de proposer une musique qui puisse dérouter, amuser, émouvoir, et donner envie de danser, danser à contretemps”.
En 1984 le groupe s’enrichit de Pascale Le Berre aux claviers, qui deviendra la compagne de Philippe. Fort de son succès, le groupe enchaîne les albums : Le chant des terres en 1985, qui sera le premier chanté intégralement en français par Philippe (à l’exception du morceau Don’t Fail Me), puis Lumières et trahisons en 1987 (avec John Leckie, producteur d’XTC) pour lequel le magazine Best couronne Marc Seberg comme groupe préféré de ses lecteurs. Moins sombre, porté par des élans lyriques, il marque un tournant dans la carrière du groupe. Chose rare pour un groupe rennais, Marc Seberg joue deux années de suite aux Trans Musicales en 1987 et 1988 (pour la dixième édition) avant de publier un ultime album en 1990, Le bout des nerfs. Une nouvelle décennie commence et les synthétiseurs new wave ne font plus recette. Le groupe se dissout en 1992 et Philippe continue l’aventure en duo avec Pascale. Le couple, parti s’installer au Maroc, y avait donné en 1990 un concert impromptu avec des musiciens locaux. Ils choisissent alors le nom de scène Philippe Pascale (en associant leur deux prénoms) et présentent leurs nouveaux morceaux au public pour la première fois lors des Trans Musicales 1993.
L’année suivante, sort l’album Philippe Pascale, qui marque un retour à des sonorités organiques et des arrangements soyeux. Désormais mariés, ils reviendront jouer en 1998 en duo sous le simple nom du chanteur pour la vingtième édition du festival, avant de se séparer. Dès lors commencera un retrait de la vie artistique de la part du musicien, qui ne remontera sur scène que sporadiquement. Il reviendra à son premier amour, le blues, avec un groupe nommé Philippe Pascal & The Blue Train Choir, accompagné de vieux amis tels que Pierre Fablet et Goulven Hamel aux guitares et Tonio Marinescu à la batterie.
Le groupe jouera aux vingt-cinquièmes Trans Musicales en 2003, pour ce qui restera le dernier passage de Philippe Pascal au festival, dont il restera un fidèle compagnon de route. Philippe Pascal, Marquis de Sade et Les Trans Musicales sont indissociables. Comme le dit Jean-Louis Brossard, “Ils ne peuvent pas ne pas parler des Trans, et moi je ne peux pas ne pas parler de Marquis de Sade si je parle des Trans”. Il se fera ensuite de plus en plus rare, préférant travailler auprès de son épouse Claire dans cette pharmacie à deux pas de l’Ubu, plutôt que de remonter sur scène. On note dans les années 2010 quelques brèves apparences, comme lors d’un concert hommage au Velvet Underground en 2013 donné dans le bar rennais nommé… Le Marquis de Sade.
Le retour du Marquis
Puis en 2017, l’immense surprise. La reformation a lieu, inattendue, aussi bien pour le groupe que pour le public. L’idée est venue de Patrice Poch. Déjà en 2011 le plasticien avait soulevé l’idée d’une réunion du groupe dans le cadre d’une exposition photo intitulée Rennes 1981 à laquelle avait été associé un concert à l’Ubu. Le groupe avait refusé mais Philippe était monté sur scène avec le groupe Kalashnikov pour une reprise de Little Doll des Stooges. Contact avait toutefois été pris entre les musiciens et Poch, et c’est à nouveau ce dernier qui sera moteur d’un projet d’exposition autour de Marquis de Sade en 2017 et leur proposera de se reformer pour l’occasion. Cette fois-ci sera la bonne. Dans son livre très documenté Marquis De Sade, 1977–2017, il en raconte les coulisses : “Philippe semble séduit par mon projet mais je n’ose pas encore lui parler d’une reformation du groupe : le sujet est un peu plus sensible pour lui que pour Frank, qui, surprise, accepte ma proposition. Depuis peu, il a renoué contact avec Eric Morinière et Thierry Alexandre, auxquels il soumet mon projet : le délai semble raisonnable pour une reformation. Reste à en parler à Philippe… Claire, sa femme, et Pierre-Jean, son fils, seront d’une aide précieuse dans cette délicate négociation. (…) Philippe accepte finalement de remonter sur scène pour une date unique. J’organise alors un rendez-vous pour que les quatre membres se concertent. Clin d’œil à l’histoire tumultueuse du groupe, elle aura lieu au Café de la Paix, un de leurs anciens Q.G. C’est la première réunion de Marquis de Sade après 36 ans de silence radio. Deux semaines plus tard, les répétitions commencent”.
Le 16 septembre 2017 à Rennes, Marquis De Sade livrera un concert triomphal devant 3000 spectateurs au Liberté. Philippe Pascal jubile : “Je n’avais pas écouté les disques depuis leur sortie. Patrice a eu raison de nous y pousser. J’ai pris un plaisir sur scène que je n’avais jamais connu avec le groupe. A l’époque il n’y avait pas réellement d’échange avec le public, alors que là je l’ai reçu ! A notre arrivée, pendant l’intro de Set In Motion Memories, waouh ! Je me suis senti… illuminé”.
Jean-Louis Brossard se remémore ce moment de grâce : “Ils étaient heureux de le faire. Ils ont répété à l’Ubu, ils ont même fait un concert privé la veille pour les proches et la famille. C’était super, ce n’était pas une reformation pour l’argent comme beaucoup d’autres ; ils avaient bossé et ils étaient vraiment au point”.
Devant l’engouement général, le groupe décide alors de poursuivre l’aventure. La date unique devient le point de départ d’un supposé acte 2 du groupe. D’autres concerts suivent, un troisième album est mis en chantier, mais la chose semble effrayer le chanteur. Le chanteur Dominique A confie dans son magnifique essai Fleurs plantées par Philippe le désarroi que lui avait confié Philippe Pascal au moment d’écrire les textes de ce troisième album de Marquis De Sade qui ne verra jamais le jour.
Il disparaît le 12 septembre 2019, laissant derrière lui d’immenses regrets et une œuvre unique en France. Avec lui se referme l’histoire de Marquis De Sade, groupe à l’existence éphémère mais centre focal d’une révolution musicale qui a fait de Rennes la capitale du rock en France au tournant des années 80. Jean-Louis Brossard : “Il n’y a pas beaucoup de groupes au monde qui étaient aussi brillantissimes, il faut quand même le dire. Tous styles confondus, et tous pays confondus. Ils étaient radicalement différents. Je n’ai jamais compris pourquoi ils n’avaient jamais tourné à l’étranger.” Leader d’un groupe culte qui s’est sabordé au moment de rencontrer le succès, chanteur new wave aux textes poétiques, Philippe Pascal a tout du héros romantique. Son charisme et les traces qu’il laisse sur disques, photos ou vidéos en font, pour toujours, une figure mystérieuse et fascinante du rock de son époque.
Sources :
So Sade, Julien Bourgeois, Magic n°218, novembre 2019
Marquis De Sade, d’un geste instinctif, Frédéric Lemaître, Persona n°3, automne 2018
Les jeunes gens modernes aiment leur maman, Patrick Zerbib, Actuel n°4, février 1980
Interview de Marc Seberg, J‑L Galus, MIPM fanzine, 25 juin 1983
Marquis De Sade, 1977–2017, Patrice Poch, éditions L’Œil d’Horus, 2020
Dix ans de rock rennais 1978–1988, Christophe Brault, éditions Christophe Brault, 1988
Fleurs plantées par Philippe, Dominique Ané, éditions Mediapop, 2020
Entretien avec Jean-Louis Brossard, juin 2022
Émission Les Enfants du rock, Antenne 2, 1985
Ressources audiovisuelles :
Chaîne Marquis Seberg