Retour aux sources : Hubert Lenoir

12.04.2022

Le trublion québécois de la pop francophone, ancien champion de ski freestyle, dévoile cinq morceaux qui comptent pour lui. Une playlist acrobatique révélatrice de sa curiosité à 360°.

Waters of March (1975) de Art Garfunkel

« J’ai entendu cette adaptation de Águas de Março, de Antônio Carlos Jobim, pour la première fois à la radio. Je devais être adolescent. Je n’ai pas eu besoin de l’écouter jusqu’au bout pour savoir qu’elle allait devenir ma chanson préférée. J’aime l’originale en portugais, mais j’ai une affection particulière pour cette version en anglais, traduite par Jobim lui-même. Georges Moustaki l’a aussi reprise en français (Eaux de mars). J’ai toujours aimé la voix de Art Garfunkel, en solo, ou avec Paul Simon. Il a une façon un peu étrange d’interpréter le texte, quelque chose de robotique, comme un alien. Il le fait sans émotion et je trouve ça extrêmement touchant. Je pense que c’est très réfléchi de sa part, même si cela lui a valu de mauvaises critiques. Étant compositeur et auteur, je chante seulement mes morceaux, je suis admiratif du talent des interprètes. Ils sont malheureusement mal considérés aujourd’hui. »

 Break Stuff (1999) de Limp Bizkit

« J’ai découvert ce morceau vers l’âge de 8 ans, en regardant le clip sur MusiquePlus, une chaîne québécoise inspirée par MTV. En voyant le clip, j’ai pris une grosse claque. Avec The Real Slim Shady, d’Eminem, cela fait partie des premiers rythmes qui m’ont emballé, d’ailleurs Eminem fait une apparition dans le clip de Break Stuff. Au Noël suivant, mes parents m’ont offert l’album de Limp Bizkit, Chocolate starfish and the hot dog flavored water (2000). Je l’écoutais en boucle. Je ne connaissais pas grand-chose à la musique à l’époque. Je n’avais pas d’exemples de musiciens autour de moi. Pour moi, des gars comme Limp Bizkit étaient comme des élus, des créatures divines. »

Protect Ya Neck (1993) de Wu-Tang Clan

« Vers 14–15 ans, en 2008–2009, à l’école tout le monde s’est mis à écouter du hip hop des années 1990, grâce à YouTube. Ce qui me marque chez le Wu-Tang, c’est l’ambiance un peu obscure mais dans le bon sens. Les instrumentaux sont sombres, pas très orthodoxes. Le Wu-Tang fait de la musique selon ses propres règles. Même leurs clips sont différents des autres groupes de rap. Moi, j’étais un kid de la banlieue de Québec, ça m’attirait. J’aimais bien aussi les Sex Pistols, les Ramones, les Stooges. Pour moi, le hip hop et le punk représentaient le même sentiment de liberté. Ado, je faisais du ski acrobatique freestyle en compétition. J’étais en sport études. Et dans leurs vidéos de freestyle sur Internet, les skieurs mettaient les morceaux du Wu-Tang Clan. Impossible de passer à côté. »

Peg (1977) de Steely Dan

« J’ai découvert Steely Dan, plus tard, vers 18–19 ans. Après le punk et le rap, grâce à Internet, je suis tombé sur Bowie, les Beatles… La musique est devenue un puits sans fond. C’est comme ça que j’ai découvert Steely Dan. A moins que ce ne soit grâce au disquaire près de chez moi. Le magasin était tenu par deux quinquagénaires. J’allais régulièrement les voir et ils me conseillaient sur ce qu’il fallait écouter. C’étaient des mélomanes qui aimaient la musique sous toutes ses formes. Je suis pareil. Je n’appartiens à aucune chapelle. Ce qui m’intéresse chez Steely Dan, c’est la beauté des compositions et des arrangements. J’aime l’écriture et le chant de Donald Fagen qui parvient à instaurer une forme de candeur dans un registre dramatique. Au cinéma, on parle de ‘comic relief’ quand un élément amusant vient soulager une situation grave. Il faut trouver un équilibre, garder le sens de l’humour. » 

London Bridge (2007) de Fergie

« J’aime tout l’album de Fergie, The Dutchess. Il est vraiment bon. J’avais vu ses clips sur MusiquePlus mais je n’y avais pas vraiment prêté attention. J’ai redécouvert le disque de Fergie en 2019. Je suis fan de sa voix, de son écriture, des productions de Will.i.am. Les mélodies, les beats, les rythmes sont dingues. C’est un album très sous-estimé. Un morceau comme London Bridge est très original dans son utilisation des samples et ses influences pop. Il a très bien vieilli. C’est une musique faite avec le cœur. Il n’y a aucun snobisme chez moi. Fergie est une véritable artiste avec un grand sens du spectacle. C’est inspirant sur le plan créatif. Elle transmet la liberté d’être flamboyant. J’écoute aussi des choses plus expérimentales, comme le saxophoniste John Zorn. Certains voudraient compartimenter les choses. Dans mon monde musical, personne ne peut m’empêcher d’écouter et de concevoir la musique comme je veux. »

Hubert Lenoir est en concert à l’Ubu le jeudi 28 avril à 20h.