Retour aux sources : Kendra Morris

09.02.2023

La chanteuse soul vient de livrer Nine Lives, un troisième album au titre félin. Mais c’est entouré de ses trois chiens, depuis son appartement new yorkais, que Kendra Morris passe en revue ses obsessions musicales.

I Just Wasn’t Made For These times, par The Beach Boys (1966)

Pet Sounds est un de mes disques préférés. J’aurais pu choisir tous les titres de cet album qui reste une influence majeure. Je suis obsédée par les harmonies, les différentes couches instrumentales, les voix. J’ai retenu celui-ci pour l’orchestration incroyable signée Brian Wilson. Les paroles sont si simples et délicates. Cette chanson a plus de 60 ans mais elle résonne toujours de manière aussi juste aujourd’hui. C’est le propre d’une bonne chanson, elle ne perd rien de sa force avec le temps. J’ai choisi ce titre car j’ai parfois moi-aussi du mal à m’identifier à notre époque, aux réseaux sociaux, à “tik tok”, à ce bombardement envahissant d’opinions. Ce morceau résume bien mon sentiment de ne pas toujours me sentir à ma place. Brian Wilson, lui, se sentait seul dans son monde.”

Didn’t I, de Darondo (1972)

Dès que j’ai entendu ce morceau, j’ai été happé. Quand j’entends une bonne chanson, je ne peux pas me concentrer sur autre chose. J’arrête ce que je fais et je la réécoute en boucle. Je veux savoir pourquoi elle m’émeut. La voix de Darondo est majestueuse. Il monte dans un registre très aigu, mais cela lui semble sans effort. Sur mon Instagram, tous les mercredis, je poste des live où je chante en karaoké à la maison avec des invités. J’ai réussi à trouver une piste instrumentale de Didn’t I. Chanter cette chanson me rend heureuse. J’aime aussi la guitare. Quand je suis en studio, j’y fais souvent référence pour expliquer aux musiciens le son que je recherche.”

Killing Me Softly, Roberta Flack (1973)

J’ai d’abord connu la version des Fugees. Je l’écoutais au lycée sans arrêt. Et puis, au fil du temps, je me suis tourné vers des sons plus anciens. J’ai cherché qui avait écrit ce morceau, qui l’avait chanté avant Lauryn Hill. J’ai alors découvert l’enregistrement de Roberta Flack que j’aime beaucoup plus. Son interprétation est légère et douce. Celle de Lauryn Hill est géniale mais plus agressive. Or, ces dix dernières années, j’ai eu davantage besoin d’une chanson pour me soutenir. J’adore la voix de Roberta Flack. En l’écoutant, j’ai plus prêté attention aux paroles. La façon dont le morceau est produit me transporte dans les années 70. J’ai réalisé récemment que l’interprète originale est Lori Lieberman, une chanteuse plutôt folk.”

Crosby Stills & Nash, par Crosby Stills & Nash (1969)

J’ai grandi avec ce disque qu’écoutaient mes parents. Ils étaient musiciens et ils avaient l’habitude d’inviter des gens et de passer la soirée à jouer de la musique dans le salon. Si nous allions camper, ils chantaient près du feu. Mon père et mon oncle, qui sont jumeaux, faisaient des harmonies vocales. Leurs voix se mêlaient comme celles de Crosby, Stills and Nash sur Helplessly Hoping, You Don’t Have To Cry ou Teach Your Children. J’étais toujours timide et gênée de chanter avec eux. C’était juste parce que je ne voulais pas faire la même chose que mes parents.  Mais secrètement, j’adorais ça. C’est comme ça que j’ai appris les harmonies, bien avant de découvrir Pet Sounds. Les voix de Crosby, Stills & Nash se situent sur trois tons différents et tout est juste. Il n’y a même pas besoin d’accompagnement à la guitare. J’éprouve une certaine nostalgie quand je réentends ces morceaux. Leur album est tellement génial, je suggère à tout le monde de l’écouter.”

Deep Shadows, de Little Ann (1967)

Il y a quelques années, il existait des soirées à Brooklyn baptisées Dig Deeper, organisées par des collectionneurs de disques. Une fois par mois, ils dénichaient un artiste qui n’avait fait qu’un seul hit ou qui n’avait jamais eu la reconnaissance du grand public. Ils lui offraient un vol pour New York, organisaient des répétitions avec des musiciens soul, et le faisaient monter sur scène. J’ai déjà été choriste lors de ces concerts. Les DJ passaient aussi des disques rares. C’est comme ça que j’ai entendu ce vieux morceau de Little Ann, une chanteuse de Detroit. Il y a une sorte de déchirement de sa voix, une forme d’imperfection. Toute l’émotion est contenue en une seule prise.”

Kendra Morris est en concert à l’Ubu, le mercredi 15 mars à partir de 20 heures