Parcours Trans : « On a su montrer qu’on pouvait nous faire confiance »
Elles et ils s’appellent Léa, Basile, Lana, Nolwenn, Maz, Elou, Nova et Yona. En décrochage scolaire, en recherche d’emploi ou « perdu·es » dans leur projet de vie, ces jeunes de moins de 25 ans ont pu participer, l’hiver dernier, à un Parcours Trans. Quésaco ? Une action mise en place depuis plus de 20 ans par Les Trans, qui accueillent chaque année plusieurs centaines de personnes, accompagnées par des structures scolaires, culturelles, médicales, éducatives ou sociales du département d’Ille-et-Vilaine, pour une découverte privilégiée des Trans Musicales. La Mission locale We Ker, où sont inscrit·es les huit jeunes précédemment cité·es, comptait parmi les structures présentes aux dernières Rencontres Trans Musicales. De cette initiative est née une vidéo tournée pendant le festival, dans laquelle transparaît une volonté : celle de trouver sa place.
L’une a les cheveux coupés au ras du crâne, l’autre porte des barrettes en forme d’étoiles et des strass sur les dents, tandis qu’un troisième arbore un sweat à capuche et de grosses chaussures… Parfait·es représentant·es de la génération Z, les jeunes de cette joyeuse bande débordent de projets. Pourtant, il y a quelques mois encore, l’avenir ne leur semblait pas vraiment porteur d’autant de possibilités. C’était avant que le petit groupe ne participe à un Parcours Trans, proposé par la Mission locale We Ker de Rennes, où tou·tes étaient inscrit·es.
Une immersion en plein festival pour découvrir de nouveaux métiers
« Huit jeunes ont participé au Parcours, sur la base du volontariat, explique Gwenaëlle Culo, conseillère en insertion professionnelle à We Ker. Tou·tes étaient tou·tes suivi·es dans le cadre d’un Contrat d’Engagement Jeune [un dispositif qui s’adresse aux jeunes de 16 à 25 ans qui ne sont pas étudiant·es, ne suivent pas de formation et présentent des difficultés d’accès à l’emploi]. L’idée, c’était qu’elles et ils s’immergent dans le festival pour s’ouvrir au monde, mais aussi pour découvrir de nouveaux métiers », poursuit-elle.
« L’idée, c’était qu’elles et ils s’immergent dans le festival pour s’ouvrir au monde, mais aussi pour découvrir de nouveaux métiers », Gwenaëlle Culo, conseillère en insertion professionnelle à la Mission locale We Ker de Rennes
Un attrait pour les métiers du spectacle et de l’audiovisuel que partageait Nolwenn, 21 ans. « Je viens de finir mes études de cinéma, et je me suis inscrite à la Mission locale dans le but de réaliser mon portfolio, glisse-t-elle. Ce projet avec les Trans Musicales, c’était une belle opportunité pour rencontrer des gens, et développer mes projets ». Mais tou·tes les participant·es n’avaient pas les mêmes accointances avec le milieu artistique. « Il y avait deux ou trois jeunes qui étaient moins impliqué·es à la base, mais qui ont pu profiter des connaissances d’un noyau dur dans le groupe », précise Gwenaëlle Culo.
« On a voulu montrer une image plus sensible, accéder au côté humain et émotionnel
du festival », Elou, 20 ans
Un noyau dur pour qui le format de restitution de ce Parcours Trans s’est imposé tout naturellement, dès la première réunion préparatoire, à l’Ubu. « Elles et ils étaient libres de faire ce qui leur faisait envie, mais l’idée de réaliser une vidéo est très vite arrivée parce qu’elles et ils avaient une bonne maîtrise du support », se souvient Gwenaëlle Culo. Après l’inventaire du matériel à disposition – celles et ceux en possession de caméras, enregistreurs, ordinateurs et accessoires de tournage les ont mis à disposition du groupe – s’est imposé un temps de réflexion. Quelle direction donner à ce futur film ? « À titre personnel, ça me bottait bien de faire une sorte de réponse à l’after-movie du festival, comme un contrepied », déclare Basile, 20 ans. « C’est vrai qu’en général, les after-movie sont très axés sur le côté teuf. Nous, on a voulu montrer une image plus sensible, accéder au côté humain et émotionnel du festival », confirme Elou, 20 ans.
Trouver sa place
De cette envie de capter les moments volés du public et des artistes du festival est né un enregistrement dans lequel transparaît une volonté : celle de trouver sa place. « Au début, quand on parlait des raisons qui nous poussaient à réaliser ce projet, on se demandait quand même tous et toutes ce qu’on voulait faire plus tard », se rappelle Nolwenn. « Si on est à la Mission locale, c’est déjà parce qu’on se cherche : on cherche notre place, notre avenir dans la société », abonde Elou.
« Le but, c’était aussi que l’on puisse constituer un réseau de personnes que les jeunes pourraient facilement recontacter », Arnaud Leroy, conseiller en insertion professionnelle à la Mission locale We Ker de Rennes
Ce thème en tête, les jeunes se fixent l’objectif d’interviewer des personnes gravitant autour des Trans Musicales : des festivalier·ères, mais aussi des artistes et des professionnel·les, qui pourraient leur faire découvrir de nouveaux métiers. Pendant deux jours, elles et ils enchaînent les rencontres, en plus du tournage au Parc Expo. « En ce qui concerne les professionnel·les, j’avais demandé à ce qu’elles et ils soient basé·es en Bretagne, ajoute Arnaud Leroy, conseiller en insertion professionnelle. Le but, c’était aussi que l’on puisse constituer un réseau de personnes que les jeunes pourraient facilement recontacter ».
La bande sort du festival avec huit heures de rush, pour une vidéo finale dont la durée est fixée à… quatre minutes. Le montage a lieu tout au long du mois de janvier, sur les ordinateurs de deux d’entre elles et eux. Régulièrement, elles et ils communiquent via un canal de messagerie Whatsapp, ou en se réunissant pour faire le point et discuter de leurs choix. Le résultat est là : rythmé par les paroles des personnes interviewées — les membres de Bam Bam’s Boogie, qui ont joué pour les détenus de la prison de Rennes-Vezin, et ceux de Ndox Électrique, groupe sénégalo-français, Élodie Le Gall, une des photographes des Trans Musicales, ainsi que Kosmo Pilot, DJ résident du festival à l’affiche cette année au sein de Big Fat Kosmo del Mundo — le documentaire propose une succession de plans rendant compte avec poésie des concerts du festival, et la joie des festivalier·ères. Même les parents s’impliquent ! C’est le père de Léa, 20 ans, qui compose la musique accompagnant la vidéo.
« On a su montrer qu’on pouvait nous faire confiance », Lana, 26 ans
« Ce groupe était favorable au bon fonctionnement du projet, se réjouit Gwenaëlle Culo. Pour certain·es, le challenge était déjà d’être à l’heure et présent·es au rendez-vous ! Mais rien que ça, c’est énorme. Il y avait des personnalités très chouettes, des natures très ouvertes. Les jeunes se sont fédéré·es assez facilement et elles et ils ont été très autonomes ». Arnaud Leroy complète : « La seule chose qu’on ait encadré, c’est la mise en relation entre elles et eux, parce qu’au départ ce n’était pas gagné ». Une confiance qui a beaucoup compté pour les jeunes. « On ne s’est pas fait infantiliser, résume Elou. Et puis il y avait quand même une solidarité entre nous : celles et ceux qui étaient les plus motivé·es aidaient les autres ». Lana, 26 ans, confirme : « On a su montrer qu’on pouvait nous faire confiance ».
De Rennes à Cannes… Un documentaire nommé au Vox Milo Festival
Jusqu’au moment où le Vox Milo Festival, le concours national des Missions locales, s’est invité dans le projet. Là, Arnaud Leroy a dû régulièrement rappeler aux jeunes l’imminence des dates limites de rendu. « On a appris en plein tournage qu’on pouvait participer à ce festival… Je me suis tout de suite dit ‘’Mais c’est trop bien !’’ », sourit Lana. Partant pour défendre leur production, figurant dans la catégorie Graine de journaliste, certain·es d’entre elles et eux se sont rendu·es à Cannes, au début du mois de mars dernier. Un bel accomplissement, car même si elles et ils n’ont pas été lauréat·es, les retours reçus sur place valaient bien une médaille d’or. « C’était ultra-bienveillant ! Des personnes nous ont dit que c’était nous qui aurions dû gagner, parce que ce que nous avions fait était super… », raconte Lana avec fierté.
« J’ai réalisé que ce n’est peut-être pas si compliqué de créer quelque chose : quand on a envie d’y aller, il faut juste y aller ! J’espère que je vais garder un petit peu de ça dans mon cœur », Lana, 26 ans
En effet, à l’heure du bilan, elles et ils reconnaissent tou·tes que cette aventure leur aura bénéficié sur tous les plans : les CV sont étoffés, mais les personnalités sont, elles aussi, enrichies. De son côté, Lana, qui a pour projet de devenir régisseuse au cinéma, est désormais animée par une confiance en elle inédite. « Pendant longtemps, j’ai eu du mal à montrer ce que j’écrivais, ce que je pouvais produire artistiquement. C’est tellement intime et risqué ! J’étais ultra flippée, confie la jeune femme. Mais le fait d’avoir été aux Trans, dans un environnement où il y avait une grande liberté de ton et dans un groupe où les autres se montraient ce qu’elles et ils faisaient, j’ai trouvé ça trop cool ! J’ai réalisé que ce n’est peut-être pas si compliqué de créer quelque chose : quand on a envie d’y aller, il faut juste y aller ! J’espère que je vais garder un petit peu de ça dans mon cœur ».
« Il y a une époque où je n’osais même pas sortir de chez moi… Le Parcours Trans a été un premier pas, un peu essentiel », Léa, 20 ans
Pour Nolwenn, le projet aura été synonyme d’ouverture aux autres. « Le parcours nous a permis de nous rencontrer. Même si on ne se voit pas tous les quatre matins, je sais que si on en a besoin, on pourra compter les un·es sur les autres », promet-elle. « C’est vrai que rencontrer des gens de mon âge, faire des choses avec vous, ça a été très important pour moi, lui répond Léa, qui vient de débuter un stage d’artisanat d’art au sein de l’association Tout Atout. Il y a une époque où je n’osais même pas sortir de chez moi… Donc ça a été un premier pas, un peu essentiel. Et puis quand on me demandait ce que je faisais, c’était cool de ne plus répondre ‘’Je dessine dans mon coin’’, et de pouvoir dire autour de moi que je réalisais une vidéo avec d’autres personnes ». Un point de vue que partage Elou, à qui le Parcours a redonné la sensation « d’être de retour dans la vie normale ».
Plus terre à terre, Nolwenn rappelle que « nous avons un court-métrage qui est passé en festival ! Ça débloque pas mal d’avantages très concrets derrière ! ». Avec Elou, elle s’apprête à partir un mois à Berlin, dans le cadre d’une immersion professionnelle – dans une boîte de production pour Elou, et au sein du service de communication du Centre Français de Berlin pour Nolwenn — organisée par l’association Jeunes à Travers le Monde, en partenariat avec We Ker. Basile, lui, a pu apprendre à utiliser un logiciel de montage : « C’est essentiel, compte tenu du métier vers lequel j’aimerais me diriger », indique-t-il. J’espère reprendre mes études, et être accepté dans un BTS Audiovisuel à la rentrée ».
En attendant, les réalisateur·rices en herbe réfléchissent à – peut-être – produire une version plus longue de leur documentaire. « Il y a tellement de matière et d’interviews que l’on n’a pas pu mettre dans le montage final… C’est sûr qu’il y a de quoi faire ! », songe Lana à haute voix. De leurs côtés, les conseiller·ères n’ont qu’une idée en tête, selon Arnaud Leroy : « On a insisté auprès de notre responsable en lui disant ‘’Hé ! L’année prochaine, on y retourne ?’’ ».