Retour aux sources : Fils Cara

10.03.2022

Fils Cara, de son vrai nom Marc Gros Cannella, emprunte en partie son pseudo au diminutif de sa mère Carmela. Avant son concert à l’Ubu, l’artiste stéphanois lève le voile sur quelques figures de sa généalogie musicale.

On découvre souvent les artistes sur scène, sur album ou dans un clip. On peut aussi apprendre à les connaître autrement, en s’intéressant aux groupes et aux morceaux qui les inspirent ou les ont inspirés, et qui sont même parfois à la source de leur cheminement musical.

And I Love Her, par Kurt Cobain (démo non datée, probablement enregistrée vers fin 1993 ou début 1994)

 

« Les Beatles et Nirvana. Pas très original comme choix, mais ce sont deux influences musicales majeures. Cette reprise représente bien la fusion vers laquelle je tends dans mes créations. Je suis partisan de l’hybridation des genres. Je ne fais ni totalement de la pop ni vraiment du rap. Si je devais me coller une étiquette, ce serait ‘grunge solaire’. J’ai grandi à Saint-Etienne, au sein de la classe ouvrière. Kurt Cobain, lui, est originaire de la petite ville pluvieuse d’Aberdeen, au fin fond des États-Unis. Je me suis naturellement identifié à lui, même si ce n’est pas un héros de ma génération mais plutôt de celle de mes cousins plus âgés. J’étais fasciné par son attitude, cette façon d’être toujours en opposition, de suivre ses envies à contre-courant. Je suis comme ça moi aussi, cela donne des projets protéiformes. »

Boîte vocale (2006) de Booba

 

« C’est un des premiers morceaux de rap que j’ai entendu. L’écriture m’a traumatisé. Je trouvais incroyable ce sens du storytelling, l’absence de refrain. J’adore la dernière phrase : “Y’a plus personne ici d’ailleurs / Crois-en ma boîte vocale”. La production est folle. Booba est l’un des plus grands auteurs français. C’est un monstre. Il m’a influencé sur la recherche d’une plasticité entre le fond et la forme, sur les rimes riches et solides, le débit intense des mots, l’art de la punchline. Même si je me range plutôt du côté de la chanson en français, je suis moi aussi dans la quête d’images fortes. Pour qualifier les rapprochements lexicaux imaginés par Booba, un auteur de la Nouvelle Revue Française a inventé le néologisme de “métagore”. Je trouve ça très pertinent. »

Love Like A Sunset (2009) de Phoenix

 

« J’ai découvert Phoenix au lycée. Tout le monde écoutait leurs tubes alors je me suis tourné vers des morceaux moins connus comme Love Like A Sunset. J’étais attiré par ce genre de titres longs (celui-ci fait plus de 7 minutes) et un peu étranges. J’étais un adolescent angoissé. Quand j’écoutais ça dans ma chambre, mon esprit se calmait, ne partait pas dans tous les sens. Love Like A Sunset contient plusieurs parties. C’est une sorte de paysage sonore intérieur qui faisait écho à mes sentiments durant cette période. Depuis, j’ai appris l’histoire de la French Touch. Je suis même en train de créer une sorte de filiation. Mon prochain album, qui devrait sortir en septembre, est mixé par Julien Delfaud et masterisé par Alex Gopher [deux des ingénieurs du son les plus associés au son des grandes heures de ce mouvement]. On y retrouve des synthés, des textures, des guitares, des gimmicks assez solaires, dans l’esprit de la French Touch. »

Variations sur Marilou (1976) de Serge Gainsbourg

 

« “Dans son regard absent et son iris absinthe…” Ces paroles, c’est du Rimbaud mis en musique. J’ai toujours aimé la poésie. Gainsbourg a atteint une sophistication qui m’a toujours fasciné. J’ai voulu comprendre ce qu’il faisait. Comme s’il m’avait lancé un défi en tant qu’auteur, j’ai essayé d’écrire à sa manière, comme un exercice de style, en jouant avec des rimes multisyllabiques. Cela a donné un morceau comme Nanna sur mon EP Volume. Gainsbourg est une sorte de mentor qui m’a poussé à aller plus loin. J’écris depuis l’âge de 12 ans, j’ai l’impression d’avoir un peu épuisé le monde réel, mon univers, ma vie à Saint-Étienne, alors je puise dans d’autres imaginaires, chez d’autres artistes, anglo-saxons notamment, pour créer de nouveaux paysages. »

Dorian (2013) de Agnes Obel

 

« J’aime la singularité d’Agnes Obel. Elle parvient parfaitement à traduire en musique l’endroit d’où elle vient. Quand je l’écoute, je suis transporté au Danemark. Elle s’appuie sur des structures simples mais il y a une grande puissance et une dynamique dans les instruments. Elle fait de la pop avec des accords magiques et un grand raffinement dans les arrangements. C’est une musique qui soigne, qui remonte le moral quand on est ado. On peut l’écouter au casque, en audiophile, ou bien la joue collée à la vitre du bus avec des écouteurs pourris. J’aime aussi sa démarche live. Elle joue dans des endroits magnifiques à l’image de cette session à Berlin. »

Fils Cara est en concert à l’Ubu le jeudi 24 mars à 20h, et partagera l’affiche avec Simony.