Retour aux sources : Jawhar

07.03.2022

Chanteur, poète, dramaturge et militant, Jawhar possède de multiples talents. L’artiste tunisien révèle ses différentes influences et coups de cœur musicaux à l’occasion de sa venue sur la scène de l’Ubu pour présenter son nouvel album, Tasweerah (annoncé pour le 18 mars chez 62 TV Records/PIAS).

On découvre souvent les artistes sur scène, sur album ou dans un clip. On peut aussi apprendre à les connaître autrement, en s’intéressant aux groupes et aux morceaux qui les inspirent ou les ont inspirés, et qui sont même parfois à la source de leur cheminement musical…

Dirt In The Ground (1992) de Tom Waits

 

« Ce morceau représente bien l’univers de Tom Waits. Il y est question de l’inéluctabilité de la mort et de notre relative insignifiance sur Terre. C’est un thème que l’on retrouve chez moi, à travers le caractère existentialiste de mes textes. Le son de Dirt In The Ground est un peu sale, il y a quelque chose de désespéré dans la voix, toujours très habitée, de Tom Waits. Il y a toujours une perfection dans le côté presque brouillon de ces morceaux. Je reviens souvent vers son univers comme un point d’ancrage. Pourtant je me sens aux antipodes de l’Américain. Sa voix est bestiale, gutturale, la mienne est beaucoup dans le souffle. Il est brut et on entend dans ses enregistrements qu’il assume ça et garde souvent la première prise, malgré les erreurs, alors que je suis perfectionniste (mais je me soigne). C’est un vrai showman, il assume le fait d’être un entertainer alors que j’ai du mal avec ce côté-là du métier… On est souvent attiré par ce qui ne nous ressemble pas finalement. »

River Man (1969) de Nick Drake

 

« Quand j’ai écouté Nick Drake pour la première fois, vers 22 ans, j’ai ressenti un coup de foudre. Je me suis profondément identifié à lui. Je suis tombé amoureux du folk grâce à lui. Avec sa manière de placer sa voix, il puise quelque chose à l’intérieur de lui. On y entend la timidité, le non-dit. A chaque écoute, ses textes mystérieux s’éclairent d’une façon différente. Ils sont proches de la poésie de William Blake ou d’Emily Dickinson. River Man est le premier morceau de lui que j’ai réussi à jouer. Il y a une simplicité et une évidence désarmantes. Nick Drake est le seul songwriter que j’ai beaucoup repris en apprenant la guitare. Il a été mon école. J’ai commencé la musique tardivement et j’ai assez vite commencé à faire mes propres morceaux. Je ne me projetais pas dans un style particulier, j’avais simplement la volonté de faire sortir ce que j’avais en moi à travers la musique. J’ai le sentiment que Nick Drake est passé par là lui aussi. »

Zimbabwe (1979) de Bob Marley & The Wailers

 

« Adolescent, à Tunis, j’ai beaucoup écouté l’album Survival que Bob Marley a dédié à l’Afrique et dans lequel il appelle à une union des pays du continent. Ce disque m’a ouvert une porte vers un ailleurs. La Tunisie oublie souvent qu’elle appartient au continent africain. Le pays est plutôt tourné vers la Méditerranée et l’Europe. Zimbabwe parle de libération. Ado, je commençais à prendre conscience de l’histoire de mon pays, de la colonisation, pourquoi la Tunisie était à la traîne dans certains domaines. Est-ce que je partais déjà perdant dans la vie ? J’étais assez tétanisé. Je n’arrivais pas à trouver ma place dans la société. J’ai plongé dans la musique de Bob Marley et cela m’a fait beaucoup de bien. J’admirais sa force, mais j’avais un regard critique sur le rastafarisme. Son influence est toujours présente. Ce n’est peut-être pas évident à entendre mais dans ma musique, il y a un souffle africain qui est inspiré par le répertoire de Bob Marley. »

Irene (2013) de Rodrigo Amarante

 

« J’avais envie de choisir quelqu’un qui ne chante pas en anglais. Il est important de maintenir une diversité. Il y a tellement de langues et de sonorités dont on ne profite pas. C’est un ami qui m’a envoyé le lien vers cette session acoustique en solo. Rodrigo Amarante est un de mes coups de cœur de ces dernières années. Cette vidéo a quelque chose d’intrigant. Il joue de manière très calme, avec détachement, l’air de rien. Il semble avoir une telle confiance en son morceau qu’il le laisse couler avec sérénité. Je trouve ça très fort. C’est aussi quelqu’un qui ose le premier geste. Son projet solo dégage une grande maturité. Il a délaissé ses groupes pop et rock comme Los Hermanos pour tendre vers la simplicité. Son album Cavalo possède une profonde grâce. »

El Bahr Beyedhak Leih (1984) de Cheikh Imam

 

« Cheikh Imam est un monument de la musique arabe, une figure de la chanson engagée. Sa musique n’est pas commerciale. La plupart de ses enregistrements ne sont pas de bonne qualité. Il a un côté sauvage, underground. Musicalement, c’est à la fois rude et mélodieux. Sa voix est un peu dure. On ne peut pas l’apprécier quand on est jeune. Cela demande du temps. Je l’appelle “mon bluesman égyptien”. Cheikh Imam représente une part de la culture complètement oubliée aujourd’hui. Le monde arabe est malheureusement noyé sous le mauvais divertissement diffusé par le groupe saoudien Rotana. Pour moi, sa musique est associée à de belles soirées passées en Tunisie en compagnie d’intellectuels et de bons vivants. »

Jawhar est en concert à l’Ubu le dimanche 20 mars à 18h, dans le cadre d’un Lazy Sunday.