Retour aux sources : Jeanne Added

13.09.2022

Quelques jours avant ses deux concerts à l’Ubu (les 22 et 23 septembre) puis la sortie d’un troisième album (By Your Side, le 30 septembre chez Believe) où s’enchevêtrent envolées clubbing obsédantes, bordées funky et virées mélancoliques, Jeanne Added fait le point sur ses balises musicales.

On découvre souvent les artistes sur scène, sur album ou dans un clip. On peut aussi apprendre à les connaître autrement, en s’intéressant aux groupes et aux morceaux qui les inspirent ou les ont inspirés, et qui sont même parfois à la source de leur cheminement musical…

Track A – Solo Dancer, sur The Black Saint and the Sinner Lady (1963) de Charles Mingus

« Vers 15–16 ans, alors que je pratique le violoncelle au conservatoire de Reims, je découvre le jazz. Je suis émue dans mes tripes par la vision de John Coltrane en train de jouer et par le son de la voix d’Ella Fitzgerald. A 17 ans, j’ai la chance d’assister à un concert d’Abbey Lincoln qui me bouleverse. C’est un des moments qui m’a décidé à faire de la musique mon métier. Dans ma pratique et mon étude du jazz, dans les années qui suivent, je suis attirée principalement par les instrumentistes, beaucoup de saxophonistes, mais également l’hyper charismatique Charles Mingus, qui avant d’être contrebassiste était lui aussi violoncelliste. Dans la musique de Mingus on se fait embarquer par des vagues, des tourbillons, des accélérations, des décélérations, par une somme d’énergies individuelles méga puissantes, canalisée par une écriture ludique, dramatique, jubilatoire et toujours intense. »

The Last Time I Saw Richard, sur Blue (1971) de Joni Mitchell

« Je découvre Joni Mitchell avec son album iconique Blue, en Angleterre durant mon passage à la Royal Academy de Londres. Je tombe en amour immédiatement. The Last Time I Saw Richard est la dernière chanson de ce disque. Elle y conte ses retrouvailles avec un ancien ami ou amant qui, à l’en croire, a mal vieilli. Joni Mitchell est de ces chanteuses qui racontent des histoires. Ses paroles sont simples et évocatrices. C’est le texte qui impose son rythme à la musique et non l’inverse, elle est un génie de la prosodie. Le débit de sa voix, sa façon de placer les notes sous les mots… C’est comme si elle entamait une conversation avec nous. Joni Mitchell s’est totalement affranchie des normes pop. Son écriture est inventive et en même temps accessible. Sa fluidité est une source d’inspiration sans fin. Et par période je l’écoute quasi quotidiennement. »

The Ballad of Dorothy Parker, sur Sign o’ The Times (1987) de Prince

« Je me rappelle avoir vu enfant à la télé le clip de Lovesexy. Ce fut d’abord un rejet, puis quelques années plus tard, cette fois avec Sexy Mother Fucker, choc. Dans cette période adolescente, il devient pour moi je crois, une échappatoire, comme la possibilité d’une autre réalité. The Ballad of Dorothy Parker est une chanson très libre dans sa forme. Il y raconte l’histoire de sa rencontre avec Dorothy Parker, serveuse au sens de la répartie acérée. La chanson est captivante, surprenante. Elle nous tient en haleine du début à la fin. Pour moi, elle est parfaite. Il y cite même Joni Mitchell. C’est la première chanson de Prince que j’ai chantée sur scène. Pas évidente, il y a beaucoup de texte et des subtilités harmoniques un peu piégeuses. The Ballad of Dorothy Parker est aussi connue pour l’usage par Prince (comme durant toute cette époque) de la Linn LM‑1, la boîte à rythmes mythique de Roger Linn. Boîte à rythmes que j’ai eu la chance de pouvoir utiliser durant tout l’enregistrement de mon nouvel album, By Your Side. Le groove de la machine est fou. Le son est fou. Elle a apporté une chaleur incomparable. »

Violet, sur Live Through This (1994) de Hole

« Durant l’écriture de mon premier album, Be Sensational (2015) j’écoutais cette chanson et cet album dès que je devais me mettre à composer. C’était une décharge électrique qui me mettait en route. A la tête de son groupe Hole, Courtney Love est d’une puissance hallucinante. Elle ne s’excuse en rien, se réapproprie tout. De la violence subie elle fait une force, une violence qui n’appartient qu’à elle et qu’elle redirige vers l’oppresseur. Et qu’elle offre en partage avec qui s’y reconnaît. Son attitude, ce flux ininterrompu d’énergie m’a, à l’époque, immensément aidée à écrire, à m’autoriser à dire ce que j’avais à dire. J’ai profité de sa force, je me suis littéralement lovée dedans, et comme électrocutée, chargée de son énergie, j’ai réussi à faire mon disque. »

Holding On, sur Devotion (2018) de Tirzah

« Tirzah est une autrice-compositrice-interprète anglaise que j’ai découverte il y a quelques années, avec un titre absolument addictif I’m Not Dancing, en duo avec Micachu. Je ne l’ai plus quittée après ça. Son expression est contenue, intérieure, pudique. Son chant est doux, son son est doux. Elle ne projette pas ou quasi pas, à la différence de Courtney Love, elle convoque l’écoute par le moins. En tant que chanteuse, j’ai d’abord eu tendance à prendre la parole avec force. Il n’y avait pas d’entre deux entre rien et le cri. Le temps passant j’ai moins besoin d’être aussi conquérante, moins besoin de ce côté ‘à la vie à la mort’. Aujourd’hui, si je devais faire appel à la colère, je crois que ça me ferait plus de mal que de bien. Elle n’est jamais loin, la colère bien sûr, elle reste à disposition, mais je crois avoir fait un peu de place à un certain calme, à un semblant de sérénité. »

Jeanne Added est en concert à l’Ubu le jeudi 22 et le vendredi 23 septembre à 20h.