Retour aux sources : Theo Lawrence
On découvre souvent les artistes sur scène, sur album ou dans un clip. On peut aussi apprendre à les connaître autrement, en s’intéressant aux groupes et aux morceaux qui les inspirent ou les ont inspirés, et qui sont même parfois à la source de leur cheminement musical.
L’artiste franco-canadien Theo Lawrence partage ainsi une playlist très personnelle, enrichie de commentaires qui permettent de mesurer l’influence de ces titres sur son évolution musicale.
« Les Stooges, c’est l’un des premiers groupes sur lesquels j’ai vraiment flashé quand j’étais au collège, et l’un des premiers à m’avoir procuré cette sensation primitive et jouissive qu’apporte le rock’n’roll. Depuis, ce morceau est gravé dans ma mémoire. J’adore cette période des Stooges, mais aussi d’autres groupes proto-punk américains arrivés dix ans avant le punk anglais, comme MC5, avec un côté contestataire et musicalement à mi-chemin entre Bo Didley et le rock psychédélique. No Fun, c’est pour moi le morceau qui représente parfaitement cette scène. »
« Ce morceau est encore plus fortement ancré dans ma mémoire que No Fun : avant même de voir le film Pulp Fiction, je l’ai entendu pour la première fois quand j’étais petit puisque mes parents avaient la bande originale du film. Et dans ce disque, c’est le morceau qui me touchait le plus. Aujourd’hui, après avoir traversé différentes phases et écouté pas mal de musique, je suis à fond dans ce genre de son… les musiciens qui jouent sur cet enregistrement font partie de mon backing band préféré, The Memphis Boys, le groupe de sessions du fameux studio American Sound Studio, à Memphis. Ils ont joué avec Elvis Presley sur From Elvis In Memphis, avec Wilson Picket et avec plein d’autres stars de cette génération. Ce morceau est fantastique, je trouve qu’il se passe un truc magique entre la chanson, les musiciens, le travail de production du son et la chanteuse bien sûr. C’est également un sommet de la musique pour moi, je ne m’en lasserai jamais. »
« C’est un groupe assez peu connu. Comme son leader d’ailleurs, Doug Sahm, qui a pourtant eu un rôle important dans la scène musicale de l’époque mais n’était pas très carriériste et n’a donc jamais signé de gros contrat. C’était un super musicien texan de San Antonio, un songwriter et multi-instrumentiste qui mérite d’être plus connu. Il jouait de la musique depuis son enfance au début des années cinquante, il a même accompagné au violon Hank Williams à onze ans [en décembre 1952, lors du tout dernier concert de cette figure historique de la country]. Il a ensuite toujours évolué dans un truc hyper éclectique, il a baigné dans plein de styles, du rock’n’roll, de la soul, de la country, et donc c’est un artiste auquel je m’identifie énormément dans la démarche de synthèse des styles. Cette chanson, c’est lui qui l’a écrite. L’enregistrement a quelque chose d’assez bancal, notamment cette guitare douze cordes. Rien ne semble coller vraiment et pourtant tout s’imbrique parfaitement. J’aime beaucoup le côté très loose [relâché, instable, flottant] et approximatif de l’enregistrement. J’ai découvert ça il y a moins longtemps que les autres morceaux, mais c’est un titre vers lequel je retourne tout le temps. Je conseille aussi le deuxième album du groupe, Mendocino, qui est une réussite de bout en bout. »
« Bill Monroe est surnommé le « père du bluegrass » [un style qui mêle la musique folk traditionnelle de la région des Appalaches – qui hérite de traditions britanniques – au blues et au jazz américain]. Ce titre est une reprise d’un morceau de 1930 de Jimmie Rodgers dans ce style bluegrass, et il est donc un peu à mi-chemin entre les origines blues et country de Jimmie Rodgers et les string bands des Appalaches. C’est une sorte de prototype pour le bluegrass. Pour moi c’est un enregistrement classique du genre qui a donné un son à tout un mouvement et Bill Monroe est le premier à avoir joué ce son-là. Il l’a créé, et le style a même été nommé d’après le nom de son groupe [The Blue Grass Boys]. Ce que j’adore notamment, c’est que c’est difficile de comprendre où il commence ses phrases et où il les finit. Il y a aussi un truc qui est un peu déstructuré dans le morceau, qui ne suit pas la mesure… sa manière de chanter est très libre, tout comme le violon, et les deux se répondent de façon étonnante. Je trouve ça fou parce que c’est très dur à reproduire et que c’est une manière de jouer de la musique et de chanter qui n’existe presque plus. »
« Les Stones, c’est un peu comme les Stooges, ça fait partie de mes premiers amours. Ce morceau, il représente pour moi l’apothéose de la période 1962–1969 avec Brian Jones. C’est d’ailleurs lui qui a eu l’idée d’ajouter du marimba [un xylophone africain] sur ce morceau. »
« E.C. Ball, c’est un chanteur-guitariste et un songwriter qui écrivait pas mal de morceaux et s’est fait connaître grâce au folkloriste Alan Lomax qui voyageait dans les campagnes pour enregistrer des gens qui jouaient de la musique. Et donc il s’est retrouvé sur l’une des compilations-phares du catalogue d’Alan Lomax. Je pense que ce n’est vraiment pas un musicien qui a fait carrière dans la musique, c’est plus quelqu’un qui en faisait comme on pratique un hobby et qui s’est retrouvé à enregistrer quelques fois dans sa vie. La majorité des chansons qu’il a écrites, c’est du gospel. C’est un guitariste qui m’influence beaucoup. À la guitare, il a un style de fingerpicking [technique de jeu très élaborée] inspiré du banjo avec des combinaisons de notes dans des ordres improbables, c’est-à-dire un peu « à l’envers » par rapport à l’ordre des notes qu’on jouerait spontanément. Il y a un côté très contre-intuitif dans cette façon de jouer de la guitare, ce qui m’inspire beaucoup dans ma propre manière de jouer et notamment de pratiquer le fingerpicking. Sa façon de chanter m’influence aussi de temps en temps, comme celle de Bill Monroe, cette façon très sobre, sans trop d’effet ou de vibrato, un peu austère mais avec de super belles harmonies. Pour moi c’est un peu la magie de la musique de cette région des Appalaches, on ressent le mélange du blues du Mississippi et de la musique irlandaise. Il n’y a pas souvent d’accords mineurs dans ce genre de chansons de ces époques, et là, le fait qu’il y ait un accord mineur sur ces harmonies rend le morceau un peu spécial à mes yeux. Et d’ailleurs on le joue parfois sur scène, mais à notre manière. »
« George Jones, c’est l’un de mes chanteurs préférés, toutes catégories confondues. Ce morceau, c’est un exemple parfait de ce son très spécifique de la première moitié des années soixante en country, avec la guitare baryton et une certaine subtilité dans les harmonies vocales, qui ont d’ailleurs été réalisées avec un autre super chanteur qui s’appelle Johnny Paycheck. Que dire de plus sur ce morceau ? J’adore le groove, la manière de chanter… ça tue quoi ! »
« Si on me demande ce qui m’a influencé et les enregistrements qui m’ont le plus marqué, impossible de passer à côté de cette première période d’Elvis, ses débuts chez Sun Records, les deux premières années [1954–1956]. J’aurais pu mettre Mystery Train, Blue Moon Of Kentucky ou That’s All Right Mama mais j’ai finalement choisi Blue Moon parce qu’il y a quelque chose de magique… notamment ce que fait Scotty Moore à la guitare, avec l’écho qui évoque des gouttes d’eau ou des bruits de pas, ça confère un truc vraiment magique à l’enregistrement. Et je trouve qu’Elvis chante comme un dieu. »
Les Trans présentent Theo Lawrence en concert le 11 octobre 2020 à l’Antipode MJC (Rennes), dans le cadre de la saison Ubu & Hors les murs.