Blanco Teta, rejeton survolté du punk sud-américain

20.10.2023

Des cris auto-tunés, une touche d’électro et un violoncelle en guise de guitare… Blanco Teta est moins effrayé par le mélange des genres que par les étiquettes. Difficile d’en coller une au groupe argentin, programmé cette année aux Rencontres Trans Musicales de Rennes. Composée de la chanteuse Josefina Barreix, de la batteuse Carola Zelaschi, de la violoncelliste et chanteuse Violeta Garcia, et du bassiste colombien Carlos Quebreda Vasquez, la formation ne nie pas ses influences punk, mais en propose une version d’un genre nouveau dans lequel la performance scénique prime sur la revendication. Interview croisée, entre deux continents et quatre pays. 

Comment est né Blanco Teta ? 

Josefina : « Violeta, Carlos et Carola se connaissaient déjà parce qu’ils étaient ensemble en cours de musique. En ce qui me concerne, je vivais chez Carlos. En 2016, ils ont eu l’idée de créer un groupe nommé Blanco Teta, un nom très controversé. Il fait référence au fait qu’en Argentine, il est interdit de faire du topless. Si tu es seins nus, même l’été à la plage, tu peux avoir des problèmes avec la police, et tu risques même d’apparaître au journal télé ! Du coup, à la fin de l’été, toutes les filles ont un triangle blanc sur la poitrine, une trace de bronzage. À tel point que « blanco teta » [qu’on peut traduire par « sein blanc »] est devenu une expression pour parler de quelqu’un qui est très pâle, de façon un peu péjorative. L’idée m’a tout de suite plu ! J’ai fait des essais et j’ai intégré le groupe. Violeta et Carlos s’apprêtaient à partir vivre à l’étranger, donc on a juste répété, et l’album a été créé comme ça. Ensuite iels sont partis, iels ont mixé le tout, et on a commencé à jouer en live seulement quand iels sont rentré·es. Je ne sais pas pourquoi, tout le monde s’est mis à nous appeler pour nous faire jouer… Et ça ne s’est pas arrêté, jusqu’à maintenant ! »

Quelles sont vos influences ? 

Violeta : « On aime tous des styles différents. Je viens d’un parcours plutôt lié à la musique classique, et les autres préfèrent l’électro. On a beaucoup d’influences, mais notre son est très personnel, très spécifique, ce qui est notamment dû au fait que nous avons remplacé la guitare par le violoncelle. On est tous·tes des compositeurs·rices prolifiques, et on cherche avant tout à faire notre propre musique et pas vraiment à reproduire les sons de nos références. »

« Il y a eu une prise de conscience dans l’industrie musicale : il y a plus de visibilité et beaucoup plus d’espace pour les femmes »

Carola : « Bien sûr, on est en écho avec des mouvements comme celui des riot grrrls. Mais vu d’Argentine, et même d’Amérique latine, on a le sentiment d’avoir des revendications un peu différentes. On a effectivement grandi entouré·es par des représentations très masculines et hétéronormées de la figure de la rock star, mais je pense que ça a changé. C’est sûr, on est trois femmes sur scène et on fait de la musique, mais il y a eu une prise de conscience dans l’industrie musicale : il y a plus de visibilité et beaucoup plus d’espace pour les femmes. »

Carlos : « Le mouvement riot grrrl est intéressant, mais ça reste très états-unien. En Argentine, il y a beaucoup de musiciennes auxquelles on s’identifie plus : Barbara Togander, Satira La Castrada, Lucy Patané, La Piba Berreta… Quelque part, ce sont des versions sud-américaines des riot grrrls, des versions sans prétentions. »

Vous vivez dans trois pays différents : Carola est en Argentine, Violeta vit en Suisse, tandis que Josefina et Carlos sont en Espagne. Quels sont les avantages et les inconvénients d’une telle organisation ? 

Violeta : « C’est une organisation très compliquée, il est important que nous communiquions beaucoup. On a un programme de réunions, de répétitions et de production à distance très strict… Et on profite des tournées pour enregistrer et créer de nouveaux morceaux. C’est beaucoup de travail, parce qu’on n’a pas de manager : on fait tout nous-même. Heureusement, on travaille avec des agences et des labels qui nous aident beaucoup, qui nous laissent du temps pour travailler. »

Carola : « Il n’y a pas beaucoup d’avantages. D’une certaine manière, on a chacun·es notre territoire. J’organise les choses depuis et pour l’Argentine, et les autres se focalisent sur ce qui concerne le reste du monde. C’est très, très difficile, mais maintenant on a atteint un point où notre méthode est rodée, et ça devient vraiment sympa. On a tous·tes grandi grâce à ce mode de vie. J’espère qu’un jour on pourra habiter dans le même pays, mais on ne sait jamais : on a tous·tes la bougeotte ! Et chacun·e d’entre nous est très imprévisible… »

« C’est vraiment intéressant de vivre dans des pays différents, ça nous permet d’étendre notre radar sur le champ des réalités, de penser en dehors du cadre »

Carlos : « On est comme dans une relation à distance… Sauf que c’est un groupe à distance ! (rires) Chacun·e d’entre nous vit dans un endroit différent, c’est très post-pandémique… »

Josefina : « C’est vraiment intéressant de vivre dans des pays différents, ça nous permet d’étendre notre radar sur le champ des réalités, de penser en dehors du cadre. Violeta vit en Suisse, un pays qui a une économie totalement différente de celle de l’Argentine, où vit Carola. Ça nous apporte des visions diversifiées, on se rend compte que les autres ont des réalités et des difficultés très différentes des nôtres. Carola vit peut-être à la maison, mais l’économie y est merdique, et elle doit tout le temps jongler avec des problèmes d’argent. Moi, quand je suis arrivée en Espagne, je n’avais pas de papiers donc j’étais coincée là, tandis que Carlos n’est pas vraiment fixé, il vit un peu partout sur la planète. »

Beaucoup de médias définissent Blanco Teta comme un groupe « féministe », voire « transféministe ». Quelles sont vos convictions politiques, et comment transparaissent-elles dans votre musique ? 

Carlos : « L’expérimentation est au cœur de nos créations. Les questions actuelles à propos du genre invitent les gens à expérimenter dans certains aspects de leurs vies, à voir les choses à travers des perspectives différentes. Donc je pense que, quelque part, nos créations soulignent cette idée de rébellion envers les courants dominants, la pensée mainstream. »

« Quand on crie, on crie pour tout le monde, pour toute la communauté queer »

Josefina : « Malgré cela, on n’a pas choisi cette étiquette de « transféministe ». En Amérique latine, il y a une grosse vague féministe en ce moment. Comme il y a beaucoup de courants féministes, on avait le sentiment qu’il fallait qu’on précise exactement dans lequel on se situe. En tant que queer, il était important pour nous de dire que les droits des personnes trans font partie de nos combats. Dans la musique punk, on gueule tout le temps contre le gouvernement, et contre toute la merde dans le monde. Quand on crie, on crie pour tout le monde, pour toute la communauté queer. C’est important pour nous d’exprimer ça, mais on n’a pas revendiqué cette qualification « transféministe ». On a parlé de ça dans une interview, et ensuite tout le monde s’est mis à nous qualifier comme ça. Bien sûr, on représente ces combats parce qu’on est des femmes d’Amérique latine, queer et non-binaires. Mais ce n’est pas le but principal du groupe. On veut avant tout faire du bruit, et de la musique expérimentale. »

Les performances et le visuel sont d’ailleurs au cœur des live de Blanco Teta. Pourquoi est-ce si important pour vous ? 

Carlos : « On met effectivement beaucoup d’effort dans nos looks, mais aussi dans le show en lui-même : dernièrement, on a beaucoup travaillé sur les lumières. On aime beaucoup aller à la recherche de différentes esthétiques dans nos vêtements, mais on ne veut pas travailler avec trop d’effets visuels parce qu’on essaie de maintenir l’attention sur nous, et sur ce qu’on fait. Ce qu’on recherche dans nos performances, c’est avant tout une intensité : on donne tout pour faire ressentir la musique à travers nos corps. »

Votre album Rompe Paga a été réédité par Bongo Joe, qui n’est pas votre label d’origine. Quelle est votre histoire avec cette maison de disques suisse, mise à l’honneur cette année aux Trans Musicales ? 

Violeta : « Il y a quelques temps, j’ai déménagé en Suisse. Là, j’ai été amenée à jouer avec l’Orchestre Tout Puissant Marcel Duchamp [un ensemble post-punk à géométrie variable], dans lequel jouent des gens du label, et qui fait partie de son catalogue. J’ai joué avec eux, j’ai traîné avec eux, et je les ai trouvés vraiment très intéressants. Je leur ai fait écouter notre album, et il se trouve qu’ils et elles connaissaient déjà le groupe. Tout ça a conduit à la réédition du disque. »

Qu’attendez-vous de votre concert aux Trans Musicales, en décembre prochain ?

Violeta : « On voulait jouer en France depuis notre première tournée européenne, c’est un pays où il est assez difficile d’obtenir une date. J’espère qu’on pourra donner le show le plus intense possible, et aussi découvrir de nouveaux musiciens, rencontrer de nouveaux artistes, et aussi des tourneurs pour revenir jouer en France dans le futur ! »

En parlant du futur, avez-vous déjà des projets, après le festival ? 

Violeta : « On va faire une petite tournée d’hiver en France et en Suisse, après les Trans Musicales. Et puis on a une tournée prévue en Argentine pour présenter le nouvel album, à la fin du mois de février. On sera tous·tes ensemble en Amérique latine, ce qui n’est pas arrivé depuis longtemps ! Ensuite, on a une tournée en Europe à la fin du mois de mai. Juste après ça, on espère sortir un nouvel EP… On a plein de projets pour l’année prochaine, on a vraiment hâte ! »

Blanco Teta sera en concert au Hall 3 du Parc Expo le samedi 9 décembre, dans le cadre des 45es Rencontres Trans Musicales.