[Musiques & Sociétés] La nature, source intemporelle d’inspiration musicale

02.11.2023

Au-delà des passionnants enjeux artistiques qui la concernent, la musique (et l’art en général) se nourrit et impacte l’environnement dans lequel elle est créée et diffusée. La programmation du festival et les artistes accueilli·es aux Trans Musicales l’illustrent d’ailleurs chaque année.
En écho aux concerts du festival, Musiques & Sociétés proposent différents rendez-vous pour mêler le plaisir de parler de musiques, d’arts, de pratiques culturelles, et l’intérêt de les questionner dans leurs dimensions esthétiques, sociales, voire politiques.
Musiques & Sociétés réunit et renouvelle deux propositions bien connues des festivalier·ères : les conférences-concerts, inventées en 2004, et Rencontres & Débats, au programme du festival depuis 2008.

Des musiques orchestrales au rock progressif, la nature a toujours inspiré les compositeur·rices instrumentaux·ales. Afin de parcourir cette tradition narrative, et à la lumière de l’œuvre instrumentale de Mathieu David Gagnon et de son projet Flore Laurentienne, Les Trans proposent une conférence-concert à l’auditorium des Champs Libres, le samedi 9 décembre prochain. La conférencière et docteure en musicologie de l’EHESS et de l’Université Laval de Québec, Marion Brachet, nous en donne un passionnant avant-goût…

Pouvez-vous présenter la conférence-concert « Récit et nature dans les musiques instrumentales », que vous allez animer ?

Marion Brachet : « Cette conférence va porter sur la manière de raconter des choses en passant par des sons abstraits. Il va s’agir de comprendre comment, dans les musiques instrumentales, on a pu dépeindre la nature et les paysages. Je vais essayer d’avoir une approche historique, et décrire la progression et l’évolution de ce langage musical au fur et à mesure du temps. D’abord en partant des musiques baroques et classiques, notamment avec Les Quatre Saisons de Vivaldi. La manière de raconter et de mettre en musique la nature vient aussi un peu de la façon dont on la conçoit : chez Vivaldi, on construit quelque chose d’assez idéalisé, avec une nature qu’on va presque caricaturer, et personnifier à travers des saisons très marquées.

Les Quatre Saisons, L’hiver — Vivaldi ©Marion Brachet

L’autre grand mouvement musical dont je vais parler, c’est celui des musiques minimalistes, qui a d’ailleurs une grande influence sur Flore Laurentienne, qui jouera juste après la conférence. Ce sont des musiques où l’on approche de la nature moins par la mise en récit d’un conflit entre les différents éléments, que par la formation de paysages sonores, de façon presque picturale. Cela va aussi concerner des paysages plus spécifiques, plus localisés, comme dans le cas de Flore Laurentienne, qui parle de la nature canadienne et québécoise. Ces styles musicaux ne sont pas les seuls à raconter la nature : il y a des exemples à toutes les époques, des musiques romantiques au rock progressif anglais des années 60 et 70… »

Comment expliquer que le thème de la nature soit aussi omniprésent dans la tradition narrative, dans l’histoire de la musique ?

« Selon le musicologue Emmanuel Reibel, la nature est souvent utilisée dans la musique, et dans d’autres arts aussi, comme une manière de se ressourcer, de revenir à l’essentiel. Ce phénomène se produit de manière cyclique et de façon très récurrente dans la création artistique : quand on a l’impression que l’on n’arrive pas assez à se dégager de ses influences, que beaucoup trop de choses ont déjà été dites dans un style, on va essayer d’aller puiser son inspiration dans la nature, qui devient la source d’inspiration première et ”pure”. »

On imagine assez facilement comment se construit un récit à travers des chansons à textes. Mais comment raconter une histoire via une musique instrumentale ?

« Quand on n’a pas de paroles, tous les petits éléments textuels autour de la musique ont un rôle accru. Le titre de la composition va, par exemple, permettre d’interpréter ce que l’on entend. Ensuite, dans la musique elle-même, il existe des jeux sur la forme musicale qui permettent de reproduire la progression d’un récit. Une mélodie peut, comme un personnage, subir des péripéties au fil d’un morceau, dans une approche presque épique : on va alors avoir des thèmes-personnages qui vont subir des aventures et qu’on va retrouver plusieurs fois, joués différemment. Il existe aussi des conventions musicales qui, depuis des siècles, permettent d’identifier des événements, des lieux, des sensations… Dans une volonté d’imiter ce qu’il se passe dans la nature, l’écriture et le mode de jeu sont codifiés. Par exemple, quand il s’agit de mettre en musique le froid, on va avoir des modes de jeu piqués et secs, qui vont donner une impression de frissonnement. »

Selon vous, pourquoi est-il important de parler de ce sujet en ce moment ?

« Aujourd’hui, maintenant que l’on sait à quel point la nature est menacée et que l’on réalise que cet idéal d’une nature pure et non affectée par l’Homme n’existe presque plus, le rapport à la nature prend encore une autre connotation. Le contexte de destruction et de grandes menaces sur la biodiversité alimente l’intérêt des musicien·es et des compositeurs·rices pour la nature, depuis déjà quelques décennies. On voit aussi apparaître des tentatives de préservation des sons de la nature, menacés par la pollution sonore. La mise en récit de la nature par la musique a donc presque un nouveau rôle, qui réveille un peu la dimension idéaliste Baroque, puisque l’on n’a presque plus accès à une nature qui serait immaculée, vierge de l’activité humaine. »

Pourquoi ce sujet a‑t-il sa place dans le cadre du festival des Trans Musicales, et comment s’inscrit-il dans sa programmation ?

« Étant donné l’actualité et l’importance du thème de la nature depuis des siècles dans l’histoire de la musique, il est important, dans un festival urbain tel que celui des Trans Musicales, de repenser la manière dont on met l’environnement en musique. Au sein de ce festival qui est un petit écosystème fleurissant dans la ville de Rennes pour quelques jours, c’est intéressant de découvrir de nouvelles perceptions de notre environnement, en prenant un recul historique et esthétique sur la manière dont ce qui nous entoure est mis en musique.

Fleuve Saint-Laurent, Québec ©Marion Brachet

La programmation de l’artiste Flore Laurentienne [en concert aux Trans Musicales le jeudi 7 décembre, dans le Hall 8 du Parc Expo] résonne aussi particulièrement avec le sujet. Son concept s’inscrit dans une géographie très précise, et chaque pièce musicale nous mène directement dans un environnement donné. Quand on l’écoute, on suit le fleuve. C’est une musique qui comporte des progressions assez lentes, à l’image du Saint-Laurent, qui est large et progresse tout doucement. C’est un projet musical où les jeux de textures, de modes instrumentaux, de combinaisons entre musique électronique et musique orchestrale donnent toute une palette sonore qui permet de créer un récit et un paysage dans lequel on avance, lentement. Cette approche narrative est caractéristique du projet de Flore Laurentienne : avec lui, on déambule dans la nature… »

Rencontre organisée par Les Trans :

Récit et nature dans les musiques instrumentales
Conférence de Marion Brachet suivie d’un concert de Flore Laurentienne.

Samedi 09 décembre | 15h – 17h
Auditorium des Champs Libres
10 Cours des Alliés, Rennes

Gratuit / Sans réservation

Plus d’infos sur le site Musiques & Sociétés