Retour aux Sources : Dope Saint Jude
Figure de proue du hip hop queer sud-africain, la rappeuse et productrice Catherine Saint Jude Pretorius, connue sous le pseudo de Dope Saint Jude, rend hommage aux figures qui ont soufflé dans ses voiles musicales et permis de prendre le large avec son rap mélodique et engagé.
On découvre souvent les artistes sur scène, sur album ou dans un clip. On peut aussi apprendre à les connaître autrement, en s’intéressant aux groupes et aux morceaux qui les inspirent ou les ont inspirés, et qui sont même parfois à la source de leur cheminement musical.
Together Again (1997) de Janet Jackson
« J’avais sept ans quand j’ai découvert cette vidéo. Pour la première fois, je voyais une représentation de l’Afrique dans un clip grand public. En tant que petite Sud-africaine, je pouvais m’identifier à une icône de la culture pop. Beaucoup plus tard, j’ai découvert que les paroles de Together Again parlent d’un ami gay de Janet Jackson mort du SIDA. En tant que personne gay, je me sens très liée à cette chanson. Elle me rappelle aussi ma mère, décédée en 2016, avec laquelle je l’écoutais. C’est un morceau triste et en même temps très dansant. Transformer un événement dramatique en quelque chose de joyeux, est un contraste très intéressant. Cela m’a beaucoup influencé pour ma musique. J’aborde des sujets difficiles, mais j’essaie aussi d’avoir des compositions optimistes. Il est facile de critiquer la musique pop, de lui reprocher son caractère superficiel. Mais la pop peut aussi avoir du sens, de la profondeur et un fort impact émotionnel auprès d’un large public. »
Uninvited (1998) de Alanis Morissette
« J’aime Alanis Morissette depuis son album Jagged Little Pill (1995) que j’ai dû écouter vers l’âge de 12–13 ans. Voilà une femme qui exprime son urgence et sa colère à travers sa musique d’une manière libératrice. Au-delà de sa musicalité, ce qui me touche chez la Canadienne c’est son message féministe porté par cette voix brute. Elle ose parler de ruptures, de grossesse, des règles…. Trop souvent, on attend que le hip hop se concentre uniquement sur certains sujets : la politique, le sexe, la danse… Dans mes textes, je m’inspire de la liberté de ton d’Alanis Morissette. Dans le morceau Uninvited, qui est particulièrement émouvant, elle fixe des limites à quelqu’un qui a une obsession pour elle. Elle lui dit : ‘Tu n’es pas invité’. J’apprécie quand les paroles sont ouvertes à de multiples interprétations. »
Double Bubble Trouble (2014) de M.I.A. & The Partysquad
« J’ai commencé à écouter M.I.A. en même temps que j’ai commencé à faire de la musique. J’aime sa façon d’empoigner un sujet politique et de le rendre cool, accessible et moderne. Elle a réussi en tant que femme originaire du Sri Lanka. Elle a une façon très ‘Do It Yourself’ d’échantillonner les sons. Cette esthétique du bricolage est un héritage du mouvement musical Riot Grrrl. M.I.A. réussit à traduire cet esprit dans une veine hip hop en employant des rythmes tribaux. C’est très excitant pour moi, surtout en tant que personne originaire du continent africain. Je me suis beaucoup inspiré de son parcours et de sa direction visuelle très forte. Elle fait des choses qui dérangent, comme dans ce clip de Double Bubble Trouble dans lequel elle montre comment fabriquer des armes avec une imprimante 3D. M.I.A. a repéré ma musique et m’a demandé de participer en 2015 à une campagne pour H&M. Cela m’a permis de m’acheter un ordinateur portable et de sortir mon premier EP. »
Chasing Shadows (2016) de Santigold
« En faisant des recherches sur M.I.A., j’ai réalisé qu’elle avait travaillé avec Santigold. Je me suis donc intéressée à sa musique et j’ai notamment été séduit par son morceau Disparate Youth, sorte de chanson punk dans la veine Riot Grrrl encore une fois. La plupart des artistes femmes noires sont généralement rangées par la presse dans la case hip hop ou R&B. Santigold, elle, bouscule les codes. Sa musique sort des sentiers battus. Elle peut faire de la pop, du reggae, du punk rock. Elle peut faire ce qu’elle veut. Cela rejoint cette idée de liberté dont je parlais à propos d’Alanis Morissette. Chasing Shadows possède quelque chose de triste et d’introspectif très attirant. Santigold déploie une large palette d’émotions. »
Runaway (2010) de Kanye West
« L’album My Beautiful Dark Twisted Fantasy est probablement l’album qui m’a le plus influencé. La production est révolutionnaire. Pour ce disque, Kanye West a travaillé avec Bon Iver pour créer ces mélodies torturées très tristes et utiliser le logiciel Auto-Tune de manière très personnelle. My Beautiful Dark Twisted Fantasy est agencé comme une œuvre d’art. Il s’ouvre comme un livre de contes pour enfants de Roald Dahl et passe par différentes vagues d’émotions. Kanye West dévoile un nouveau visage du hip hop, autant sur le plan musical que visuel, à l’instar de ce film de 30 minutes qui accompagne la chanson Runaway. Il a hissé le hip hop au rang d’un art presque élitiste. Auparavant, le hip hop était une forme liée à la rue. Kanye West a ouvert la voie à Frank Ocean, à l’entrée de Jay‑Z et Beyoncé au Musée du Louvre. Malheureusement, le comportement actuel de Kanye West, son appel à voter Donald Trump, me rend triste. Il faut sans doute distinguer l’art de l’artiste. Suivre Kanye West, ce sont de vraies montagnes russes émotionnelles. »
Dope Saint Jude est en concert à l’Ubu le vendredi 1er avril à 21h avec Bonnie et Hildegarde.