#Trans 2024 — Poto Rico : entretien avec un kiffeur
D’abord repéré aux commandes des prods de Lorenzo, l’artiste electro Poto Rico s’est depuis émancipé du rappeur stupéfiant. D’abord avec son titre Jus d’orange de pomme sorti cet été, puis aujourd’hui avec sa programmation aux Trans Musicales, sur la scène du Hall 8, la plus grande du Parc Expo lors de la première soirée du jeudi 5 décembre. Très secret jusqu’à maintenant, nous nous devions d’enquêter sur ce personnage atypique issu de la scène rennaise.
Alors, puisqu’on est entre nous : qui es-tu, Poto Rico ?
Poto Rico : Je suis avant tout un petit kiffeur, une personne qui aime un peu tout. J’aime bien boire de l’eau, me promener dans la forêt, regarder les maisons… Je suis très curieux. Certains diront que je suis un peu fucké, d’autres que je suis chelou, mais je suis juste moi-même. J’aime bien la vie, la musique, la nourriture, les gens. J’aime bien tout en fait.
Parlons de ton disque. Après quatre mois à user ton track Jus d’orange de pomme, qui nous a un peu rappelé la vibe de Smack My Bitch Up de Prodigy…
Aaaah !
…et quelques jours à peine avant ton live aux Trans Musicales, on a eu la bonne surprise de découvrir ce matin au réveil [vendredi 29 novembre] ton premier “long format”, un mini-album de huit titres intitulé The Back of the Dead Spoon. On y découvre des compos breakbeat, parfois presque hardcore dans l’intention, ainsi que des morceaux plus electro-house, comme Atomic City ou Acid Sugar. Comment toi, tu décrirais ce disque avec tes mots ?
Moi en fait, je ne fais pas de la musique en me disant que je fais du breakbeat ou de la UK, ou ce genre de choses. Je vais pas te cacher que j’en écoute, j’aime beaucoup ça. Les musiques, je les fais plus en fonction de mes souvenirs, c’est plus des moods [des humeurs]. Je te donne un exemple tout con : je vais manger dans un restaurant qui sent bon, avec de la bonne nourriture, il y a des gens qui rigolent, il y a une voiture qui passe dans la rue, il pleut, l’atmosphère est un peu humide. Et juste avec ça, je pourrais déjà presque danser là-dessus. Ça crée une ambiance, et je me dis “quelle serait la musique qui pourrait illustrer cette scène ?” C’est un peu comme ça que je compose mes musiques. Prends l’exemple de Where is le chien : ce titre, c’est parce que j’avais perdu mon chien qui s’appelle Oggy et du coup, j’étais v’la stressé de ouf et ça me cassait les couilles. Du coup, il y avait ce truc d’urgence, un peu speed. Je me suis dit “il faut faire un truc qui dégomme un peu”. Et jouer avec la voix et la perte de repères, parce que comme j’avais perdu mon chien, j’étais en train de galérer, donc c’est plus des sensations… En fait, la musique, je m’en sers pour poser des souvenirs, parce que c’est des moments que je ne vais jamais revivre. Et du coup, c’est d’abord une atmosphère… Je sais pas si tu vois ce que je veux dire, mais des fois, on va dehors, ça sent un peu la pluie, et ça rappelle des souvenirs d’il y a longtemps, et on se dit “ah ouais, je me rappelle, j’étais avec un pote…” Je marche un peu comme ça, et du coup, ma manière de marquer ces souvenirs dans le temps, c’est la musique. Et après, quand je réécoute la musique, ça me rappelle quand j’étais, je sais pas, en Espagne, sur une plage et qu’il y a un mec qui m’a vendu des coconuts, c’était trop cool.
Donc avec ta musique, tu composes un peu la B.O. de ta vie ?
Ouais, c’est ça, c’est un peu mes aventures. Mais ça peut être aussi des atmosphères de trucs que j’ai pas forcément vécus. Par exemple pour Atomic City, l’inspiration, c’est plus les années 50, 60, quand les mecs faisaient des essais nucléaires dans le désert du Nevada, ça me fait vriller, l’esthétique des maisons, tout ça. En fait, j’adore l’architecture. Si je devais être un architecte, je serais John Lautner, je pense. Donc je n’ai pas vécu à cette époque-là, mais je sais pas, il y a des trucs, les publicités, la musique, les voitures, l’architecture, tout ça, ça pose un mood et je me dis que ça m’inspire pour la musique.
Ça évoque la démarche créative de certains auteurs de chansons, parce que dans la chanson, on raconte des choses…
Ouais, c’est ça. Il n’y a pas de paroles dans ma musique, à part quelques mots, mais finalement, c’est un peu le même principe. Pour moi, ce sont un peu des chansons. Je ne chante pas, mais j’utilise beaucoup ma voix, comme un instrument, je trouve ça assez marrant. Mais oui, quand je fais de la musique électronique, je me dis pas “je vais faire une prod qui casse la gueule”. Mais plutôt que je vais raconter une histoire. Et au moment où il y a un drop, c’est le moment fort de l’histoire, puis il y a le petit break où je réfléchis… en fait, c’est vraiment comme un film, quand je compose le truc.
Maintenant, parlons du live si tu veux bien. Tu as déjà pas mal joué en DJ-set et tu présenteras un live pour la première fois jeudi 5 décembre, aux Trans Musicales…
Ouais, c’est trop bien.
À quoi est-ce qu’on peut s’attendre ?
À quelque chose de piquant, d’acidifiant, d’assez coloré, et aussi de sportif, parce que j’aime bien bouger. Et puis ça va dépendre du public, parce que moi, je fais mon concert aussi en fonction des gens en face, et s’ils sont chauds, on se chauffe. Il y a une communion, un truc comme ça. Mais là, j’ai envie de proposer quelque chose de cool et de vraiment frais, notamment aux potos qui viennent nous voir parce que, eux, ils ont suivi le projet depuis le début, ils ont vu l’évolution. J’ai envie de montrer ma nouvelle scéno, j’espère que vous allez kiffer. C’est un plaisir de jouer aux Trans Musicales parce que ce festival, j’y suis allé quand j’étais plus jeune, j’y ai passé des bons moments et j’ai perdu des PV là-bas [des points de vie]. Le fait d’y revenir pour jouer, j’ai envie de faire ça bien. En plus c’est à Rennes, à la casa. Donc ce que je peux dire sur le show en lui-même, c’est juste : venez voir et amusez-vous !
Puisque tu es déjà venu aux Trans Musicales dans le public, peux-tu nous dire quel est ton meilleur souvenir de concert ?
J’ai fait plusieurs éditions. Je me rappelle de deux ou trois soirées à la GreenRoom. Les noms des artistes, comme souvent malheureusement à cette époque-là, je faisais pas trop attention. Mon Shazam s’en souvenait, mais pas moi. Mais je me rappelle d’un souvenir, c’était Boston Bun qui jouait dans un grand hall je crois, je ne sais plus en quelle année [en 2013, dans le Hall 9]. J’avais kiffé ma race et c’était vraiment cool. Les Trans Musicales, c’est vraiment le rendez-vous. Moi, j’y vais tout le temps avec mes potos. Il y en a même qui y jouent cette année, dans des groupes de rock, donc ça fait plaisir. C’est un peu la famille, donc c’est cool.
C’était quand ta première édition ?
Je me rappelle peut-être de l’affiche… Celle avec une femme ou une sirène dans l’eau, un truc comme ça.
Oui, c’est une affiche de Yann Nguema, pour l’édition 2010.
Oui, c’est ça. Attends, je regarde la prog de cette année-là sur votre site… Ah oui, il y avait du sale ! Il y avait Pnau, A‑Trak… toujours en avance, les Trans, en vrai ! Funeral Party, Toxic Avenger… Ah oui, et Les Trans 2014, je me rappelle grave de l’affiche, j’y étais aussi. Mais je me rappelle surtout des moments entre potos là-bas.
Quand on fait ses premières Trans assez jeune, on y va souvent pour faire la fête et on ne fait pas toujours attention aux noms des artistes… Et c’est souvent des années après, quand on revoit la liste, qu’on se dit : “il y avait tel artiste que j’ai raté ce jour-là et pourtant j’y étais !”
Grave, c’est vraiment ça. Aujourd’hui, quand je fais des concerts ou des festivals, je fais beaucoup plus attention aux artistes que je vais voir. Et c’est vrai que les premières années, c’était vraiment à l’arrache, en mode “j’y vais, je kiffe le son”. Et puis, au fur et à mesure, on grandit, et puis on se dit : “ah putain, il y avait ce mec-là sur la scène, je l’ai pas vu cette année-là, je suis trop con”. Souvent, on se dit ça.
Retrouvez Poto Rico en concert le jeudi 5 décembre au Parc Expo (Hall 8).