[Musiques & Sociétés] La musique pop, botte secrète de l’Italie
Au-delà des passionnants enjeux artistiques qui la concernent, la musique (et l’art en général) se nourrit et impacte l’environnement dans lequel elle est créée et diffusée. La programmation du festival et les artistes accueilli·es aux Trans Musicales l’illustrent d’ailleurs chaque année.
En écho aux concerts du festival, Musiques & Sociétés proposent différents rendez-vous pour mêler le plaisir de parler de musiques, d’arts, de pratiques culturelles, et l’intérêt de les questionner dans leurs dimensions esthétiques, sociales, voire politiques.
Musiques & Sociétés réunit et renouvelle deux propositions bien connues des festivalier·ères : les conférences-concerts, inventées en 2004, et Rencontres & Débats, au programme du festival depuis 2008.
Le rock d’Umberto Tozzi, la voix nicotinée de Paolo Conte ou les hymnes de Mina… Bien souvent, la connaissance de la musique italienne se limite, hors des frontières transalpines, aux chanteur·euses FM du 20e siècle. Pourtant, de plus en plus de musicien·nes contemporain·nes revendiquent une influence italienne et s’inspirent notamment de l’Italo disco. Parallèlement, une nouvelle génération d’artistes italien·nes bénéficient de ce regain d’intérêt. Afin de redécouvrir cette scène, Society et Les Trans proposent une rencontre à l’auditorium de la Maison des Associations, le vendredi 8 décembre prochain, dans le cadre des 45es Rencontres Trans Musicales. Jean-Vic Chapus, journaliste à Society et animateur de cette rencontre aux côtés de son confrère Lucas Duvernet-Coppola, nous en dessine les contours…
Pouvez-vous présenter la rencontre « À l’italienne ! Histoires et influences de l’Italie pop », que vous allez animer aux côtés de Lucas Duvernet-Coppola ?
Jean-Vic Chapus : « Il y a une vraie scène musicale émergente en Italie ces dernières années, avec des groupes comme Calcutta, I Cani, Liberato, Maneskin, Andrea Laszlo De Simone… Nous sommes partis de l’idée que c’est une des scènes musicales émergentes les plus intéressantes d’Europe, ou en tout cas les plus diverses : c’est une scène alternative, qui rassemble des artistes qui font du rap, de l’électro, du rock… Mais curieusement, alors que l’Italie est un pays qu’on a l’impression de tous connaître – parce qu’on l’a souvent vu représenté au cinéma et qu’on a tous en tête une idée de l’art de vivre et de l’architecture à l’italienne – sa musique contemporaine est assez peu connue.
Vous pouvez demander à n’importe qui dans la rue ce qu’il ou elle peut vous citer comme musicien·ne italien·ne, il ou elle va vous citer des pop stars des années 80, des grands noms de la variété qui seraient Paolo Conte, Umberto Tozzi… Lors de cette rencontre, nous allons nous demander d’où vient cette méconnaissance de ce pays et de son patrimoine musical, et expliquer ce qu’est cette terra incognita italienne. Nous allons essayer de raconter tout ce à côté de quoi nous sommes peut-être passé·es, nous Français·es, dans la pop italienne, qui recèle de trésors cachés et possède une histoire beaucoup plus dense que l’on ne l’imagine. »
À propos de trésors cachés, comment expliquez-vous que, jusqu’à récemment, seule une poignée d’artistes FM – vous avez mentionné Paolo Conte et Umberto Tozzi, mais on peut également citer Mina, Zucchero ou Laura Pausini… – étaient connu·es du grand public ?
« Il y a toujours eu de la très bonne musique et beaucoup de créations en Italie, mais la principale différence entre avant et maintenant réside dans un phénomène : le berlusconisme. Silvio Berlusconi [président du Conseil des ministres italien de 1994 à 1995, de 2001 à 2006 et de 2008 à 2011] possédait énormément de médias qui mettaient principalement en valeur la variété. À côté de ça, des musiques un peu plus ‘’sophistiquées’’, un peu plus engagées se développaient, mais elles avaient peu de présence médiatique. En tout cas, les gens ne connaissaient pas forcément leur existence : tout ce qui était promu par le système Berlusconi à travers ses médias était tellement majoritaire que cela faisait de l’ombre à cette création. Une autre raison qui explique cette méconnaissance des musiques moins ‘’populaires’’ est qu’il y a 20 ans, si vous aimiez la musique, on allait vous diriger vers ce qu’il se produisait dans votre pays d’origine, ou vers ce qu’il se produisait aux États-Unis et en Grande-Bretagne. Avec internet est arrivé un plus grand accès à la musique, les forces en présence se sont un peu équilibrées. Si vous êtes un peu curieux·se, vous pouvez en quelques clics vous rendre compte que l’Italie regorge de groupes. »
Qu’est-ce qui caractérise la musique pop italienne ?
« La plupart des groupes et des artistes italien·nes chantent dans leur langue : elles et ils défendent une identité italienne, et parfois même une identité régionale, et font référence à des quartiers et à une histoire spécifiques. Ensuite, je ne veux pas essentialiser, mais il y a quand même quelque chose de l’ordre de la ferveur qui se détache de cette pop italienne. C’est peut-être pour cette raison que le mot ‘’pop’’, colle, parce que c’est une musique qui réunit tout le monde. Lucas Duvernet-Coppola, avec qui je vais co-animer la rencontre, voit dans la ferveur que peuvent ramener certain·es musicien·nes italien·nes en concert le même attachement qu’ont certain·es Italien·nes pour leur club de foot de cœur. On défend un club comme on défend sa musique. »
Peut-on aussi dire que le contexte politique actuel en Italie, où l’extrême-droite est maintenant au pouvoir, provoque un bouillonnement dans les scènes alternatives, et fait que l’on parle d’autant plus de la création italienne ?
« Au départ, c’est effectivement un peu ce que je pensais. La première ministre italienne, Giorgia Meloni, est très largement d’inspiration néofasciste. Quand des gouvernements durs, autoritaires et restrictifs arrivent au pouvoir, cela provoque souvent l’apparition de scènes intéressantes musicalement. Évidemment, c’est presque une évidence : les musicien·nes ne sont pas forcément ravi·es du gouvernement qui est le leur actuellement. Mais visiblement, cela ne les préoccupe pas tellement. Ils et elles font avec, et ils et elles auraient fait le même genre de chanson, créé le même genre de musique sous un autre gouvernement.
Pour le moment, j’ai l’impression que les seul·les musicien·nes qui peuvent être impacté·es par ce qu’il se passe politiquement en Italie sont celles et ceux de la scène électronique. Une des premières décisions du gouvernement Meloni a été de criminaliser les rave party et les free party, pour des raisons de nuisance : ces politicien·nes pensent, encore aujourd’hui, que la musique électronique et les fêtes qui gravitent autour consistent en des réunions de jeunes gens qui se droguent, qui dégradent le terrain sur lequel ils et elles sont, qui emmerdent les voisins et qui se comportent mal. Cela va peut-être venir, mais pour le moment les mouvements de contestation n’ont pas vraiment pris, donc on ne peut pas dire qu’il existe un vase communicant entre la musique italienne et le contexte politique italien. »
Selon vous, pourquoi est-il important de parler de ce sujet en ce moment ?
« L’Italie est un pays très connu et très apprécié en France, notamment parce qu’il est frontalier. Beaucoup de Français·es sauraient dire à quoi ressemble Naples, Milan, Turin, vous diraient que leur club de foot préféré est italien ou que leur gastronomie préférée est italienne. Mais quand on parle de musique, alors qu’il existe un patrimoine conséquent et une nouvelle scène hyper intéressante, la scène italienne est curieusement moins connue que la scène espagnole ou, évidemment, que la scène britannique. Cette rencontre est donc l’occasion de faire découvrir, au sein de ce très beau continent qu’est l’Europe, un pays qui est moins exposé, mais dont on parle de plus en plus ces derniers temps. La citation de Lucio Battisti et les emprunts à l’Italo disco dans les musiques françaises se multiplient. Des artistes comme Sébastien Tellier, Phoenix, Julien Doré ont déjà dit qu’ils écoutaient de la grande pop italienne. Le mini album d’Andrea Laszlo De Simone a peut-être été la plus belle production entendue depuis des années, et il vient de composer la musique d’un film français, Le Règne animal de Thomas Cailley, que tout le monde juge formidable ! Il y a une vraie émergence de la musique italienne en ce moment. »
Pourquoi ce sujet a‑t-il sa place dans le cadre du festival des Trans Musicales, et comment s’inscrit-il dans sa programmation ?
« La fonction des Trans Musicales de Rennes a toujours été de faire émerger des scènes, des écritures et des esthétiques de pays auxquels on ne pense pas forcément. C’est pour cela que nous allons chaque année aux Trans, et que nous y prenons plaisir. Il se trouve que cette année, le festival propose une belle représentation de la scène italienne, avec pas moins de quatre groupes venant de ce pays : Glowal, Mind Against, Planet Opal et Post Nebbia [dont vous pouvez lire une interview dans le supplément Society dédié aux Trans Musicales, actuellement en kiosque]. Et puis, même en regardant plus loin, dans l’histoire des Trans Musicales, on peut remarquer que pas mal de groupes italiens y sont passés ! C.C.C.P. en 1989, Andrea Laszlo De Simone en 2021… On mentionne souvent, en parlant des Trans, tou·tes ces artistes progammé·es venant du monde entier, mais le festival a aussi souvent joué un rôle de découvreur de groupes et d’esthétiques européennes, cela jalonne son histoire… »
Rencontre organisée par Society et Les Trans :
À l’italienne ! Histoires et influences de l’Italie pop
Rencontre animée par Jean-Vic Chapus et Lucas Duvernet-Coppola, avec la participation de Rosario Ligammari et Lucas Minisini.
Vendredi 08 décembre | 16h30 – 18h30
Auditorium de la Maison des Associations
6 Cours des Alliés, Rennes
Gratuit / Réservation conseillée